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scientifique de l’opinion chrétienne, et qui serait juxtaposée plutôt que subordonnée à l’autorité ecclésiastique.

Cette théologie, quelle serait-elle ? et cette opinion publique, où la recueillerait-on ? Serait-ce en France ? Non, certes, car Doellinger n’avait que mépris pour nos séminaires où le clergé s’isolait de la vie nationale. Serait-ce en Espagne, en Italie ? Moins encore, puisque, au jugement de Doellinger, l’Inquisition, en Espagne, avait tué la vie intellectuelle, et puisque les Rosmini, les Gioberti, les Passaglia, étaient en délicatesse avec Rome. L’orateur retraçait la détresse de la théologie dans les pays latins, et contestait d’ailleurs que la scolastique fût capable de créer « un édifice doctrinal harmonique, répondant effectivement à la richesse interne des vérités révélées. » Et puisque « les deux yeux de la théologie sont la philosophie et l’histoire, » puisque l’Allemagne, dans ces deux domaines, devenait « l’institutrice de toutes les nations, » c’est pour la théologie allemande que Doellinger revendiquait dans l’Eglise universelle une place d’élite, d’où elle se fit entendre, écouter, exaucer.

Ignace Doellinger aimait la science et aimait l’Allemagne : il prétendait, en face du Vatican, les représenter toutes deux. Il fallait qu’on sût, à Rome, que le cerveau de la chrétienté était en Allemagne. La science germanique offrait à l’Eglise une « façon scientifique de prendre conscience d’elle-même, de son passé, de son présent et de son avenir, de sa substance doctrinale, de sa constitution, de ses règles de vie ; » l’Allemagne cultivait et développait, sous le nom de théologie, la « conscience scientifique de l’Église. »

On devine la surprise de l’école adverse. La pensée allemande des cent dernières années avait produit une série de systèmes dans lesquels les théologiens du Saint-Siège recherchaient en vain leurs façons communes de penser, et qui ne leur apparaissaient pas seulement comme des erreurs de logique, mais aussi, mais surtout, comme des attitudes monstrueuses de l’intelligence humaine : l’Allemagne de Kant et de Fichte, de Hegel et de Feuerbach leur faisait l’effet, ou à peu près, d’être le pays de l’absurde, où le monde extérieur se niait, où l’identité des contraires s’affirmait. La sollicitude qu’ils avaient pour l’édifice dogmatique s’étendait aux avenues mêmes de la foi : il leur semblait que la nouvelle philosophie allemande dévastait ces avenues. Il leur avait suffi, des siècles durant, de donner à