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direction des Jésuites, et c’en était assez pour que le germanisme les traitât en suspects.

De fait, il était naturel que les ennemis systématiques de la scolastique incriminassent les Jésuites : car les leçons professées à Vienne par Schrader de 1857 à 1863, et surtout les volumes publiés en 1860 par Kleutgen sur la philosophie du moyen âge donnaient aux études thomistes une très forte impulsion ; et Schrader et Kleutgen appartenaient à la Compagnie de Jésus. Jésuite encore, ce Franzelin, qui depuis 1857 enseignait à l’Université grégorienne de Rome : l’extatique Maria de Moerl, que visitèrent tous les grands hommes de l’Allemagne catholique avait jadis déclaré à son confesseur que ce jeune Tyrolien, qui hésitait sur son avenir, devait aller au noviciat ; et l’oracle de cette mystique avait ainsi scellé la vocation de l’un des plus grands scolastiques contemporains.

Ces Jésuites, forgeant au loin des intelligences allemandes, effrayaient beaucoup le germanisme : on parlait d’un réseau, dans lequel ils prétendaient emprisonner l’Allemagne pensante, et dont au jour le jour, à Wurzbourg, à Mayence, à Rome, se tissaient diligemment les mailles. Lorsqu’on voyait des élèves du collège Germanique, de retour en leurs diocèses, être attachés au grand séminaire ou à la personne de l’évêque, on dénonçait, sur l’heure, le complot jésuitique, et l’on ricanait : Doctor Romanus asinus Germanus, un docteur de Rome n’est plus qu’un âne en Allemagne. Veith, le grand prédicateur autrichien, fort attaché au Güntherianisme, expédiait à Knoodt, en 1863, cet ironique commentaire des verdicts romains : Fiat syllogismus, pereat dualismus, pereat et cum spiritu libertas, crescat zizania, pereat Germania !

Les deux camps projetèrent, à peu près simultanément, des rendez-vous de savans. En 1861, Michelis, professeur à Braunsberg, écrivit à Doellinger que la thèse de l’infaillibilité papale faisait du chemin dans l’Eglise, et qu’il était urgent que la science allemande tînt un congrès pour sonner l’alarme ; en 1862, de Luca, nonce à Vienne, essaya de déterminer les évêques allemands à envoyer à Wurzbourg des délégués pour créer une grande association scientifique catholique. Doellinger, en octobre 1862, se mit d’accord avec Hirscher et Alzog, de Fribourg, avec Dieringer, de Bonn, pour tracer un programme de congrès ; mais ce programme, qui prônait la liberté de la science