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projeter ses rayons sur une lointaine terre d’obscurantisme, cette terre refusât de se laisser éclairer. Les clans érudits dont il était justement l’orgueil ne proposaient même pas à Rome un échange d’idées et de connaissances ; ils étaient tout prêts à exporter là-bas, sans rien réclamer en retour, leur philosophie et leur critique historique, et souffraient cruellement que Rome n’acceptât cette critique que sous bénéfice d’inventaire, et que cette philosophie fût renvoyée sans retard au-delà des Alpes par les messagers de l’Index. Ils accusaient Rome, avec une sorte de chagrin, de ne se point rendre compte que le catholicisme allemand vivait quotidiennement en face du protestantisme ; que, pour ce duel constant, il fallait des armes nouvelles… Ces armes, disait-on, Rome les brisait. A la douleur succédait l’aigreur : on accusait les congrégations romaines d’avoir une procédure archaïque ; on dénonçait des abus faciles à réformer, et dont la persistance, épiée par les protestans de l’Allemagne, leur servait d’argument contre le catholicisme. On voulait le bien de l’Eglise, continuait-on, et c’est pourquoi l’on se plaignait de Rome comme l’avocat se plaint d’un client qui ne veut pas suivre ses conseils.

Mais encore faut-il que l’avocat connaisse parfaitement le dossier de son client, et qu’il le fasse valoir : a-t-il rempli toute sa tâche d’avocat lorsqu’il lui a demandé de se corriger ? Or, dans cette école théologique qui s’apitoyait sur Rome avec une si impérieuse condescendance, on ne savait pas toujours exactement ce qui se passait à Rome… C’était l’époque, — remarquons-le bien, — où les découvertes de Rossi dans les catacombes faisaient revivre le christianisme primitif, et témoignaient l’antiquité de certains rites et de certaines croyances, jadis contestée par la Réforme. Cette Rome dont la stérilité scientifique faisait pitié à certains érudits de l’Allemagne était en train de créer, à l’instigation même de Pie IX, une science qui s’appelait l’archéologie chrétienne, et cette science, tout de suite, offrait des argumens insoupçonnés, susceptibles d’embarrasser la négation protestante. On eût pu croire que tant de bonnes volontés, si promptes à se dire paralysées par Rome dans leur lutte contre le protestantisme, profiteraient du moins de ces ressources nouvelles que Rome leur offrait, et qu’elles en sauraient gré, et que la sévérité de leurs jugemens en serait atténuée. Mais dans quelques cercles allemands les esprits en étaient arrivés à ce point d’amertume, qu’il leur semblait que rien de bon ne pût venir