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II

Au milieu de ces débats philosophiques survint en 1854 la proclamation de l’Immaculée Conception : malgré saint Bernard et saint Anselme, malgré saint Bonaventure et saint Thomas lui-même, Pie IX promulgua ce dogme. Ainsi la Somme n’était pas une prison ; l’attachement à saint Thomas n’excluait point qu’on dépassât ce docteur, ni même qu’on lui passât outre. Pie IX avait consulté les docteurs, mais aussi les fidèles ; les savans, mais aussi les âmes pieuses ; il avait vu « la piété devancer la science théologique, la stimuler, l’éclairer, et l’amener enfin à ratifier les intuitions de l’amour[1] ; » il avait senti que la croyance en l’Immaculée Conception vivait dans l’Église, d’une vie mystérieuse, dont les âmes témoignaient beaucoup plus que les textes ; et du haut de son magistère, il avait, en appréciateur souverain, ratifié cette vie.

Mais lorsque avant la décision suprême il avait questionné la chrétienté, une partie de l’Allemagne s’était montrée peu enthousiaste : les facultés de Munich, de Tubingue, avaient répudié le nouveau projet de définition ; l’hostilité du chapitre de Cologne survécut même à la proclamation du dogme. Il ne s’agissait plus ici de philosophie, mais bien plutôt d’histoire. L’école historique soulevait contre l’Immaculée Conception les argumens qui serviront plus tard contre l’infaillibilité : elle objectait la « règle de foi, » formulée par Vincent de Lérins.

« Ce qui a été cru partout, toujours et par tous, cela est vraiment catholique. » Telle était cette règle, qu’alléguaient fréquemment dans leurs polémiques les deux confessions chrétiennes, et sur laquelle s’appuyaient Doellinger et son école pour combattre les enrichissemens de la foi. Il y avait disette de textes pour prouver l’ancienneté de la croyance à l’Immaculée Conception ; il y en avait foison pour remontrer que cette croyance n’avait jamais été l’objet d’un consentement universel : l’école historique avait beau jeu, sur un pareil terrain. Mais si impeccable que pût être son érudition, en quoi prévalait-elle contre les aspirations de l’Église et contre cette sorte de poussée vitale, dont la définition dogmatique nouvelle était le résultat ? La science, en

  1. Voyez l’article de M. Bainvel : Histoire d’un dogme (Études, 1904).