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catholique une philosophie oubliée ; la scolastique repassait les Alpes, pour prendre possession de l’Allemagne.

De longue date, le dogme lui était uni ; et la phraséologie même qu’elle employait avait laissé sa trace dans les énoncés doctrinaux. « Retour à la scolastique ! » tel fut dès 1852 le programme de la revue Le Catholique, qui s’imprimait à Mayence. « Qu’on ne se contentât plus des miettes de la philosophie protestante, et qu’on revînt aux trésors légués par les ancêtres : » c’était aussi le souhait d’un jeune philosophe laïque, Clemens, qui enseignait à Bonn, puis à Munster. Hegel, naguère, l’avait un moment séduit, mais Hegel avait trouvé son vainqueur, qui n’était autre que Dante. La Divine Comédie avait installé dans le moyen âge la pensée de Clemens ; il s’était fait contemporain des scolastiques, et puis scolastique lui-même ; il cherchait dans leur doctrine des armes contre le günthérianisme, et il les y trouvait ; il les brandissait en public, dans des articles, dans des brochures ; il les affinait en secret, dans les manuscrits que lui demandait Geissel, et qui devaient aider l’autorité romaine à connaître le günthérianisme et à le juger. Enfin, un Jésuite allemand qui vivait à Rome, Kleutgen, entreprenait en 1853, sous le titre : La théologie du passé, plusieurs volumes, où militait contre Hermès et Günther la scolastique exhumée. Vouloir combattre les philosophies nouvelles en créant, de son côté, une nouvelle philosophie, c’était, au regard de Kleutgen, faire des concessions au protestantisme : la « vieille science catholique, » — ainsi appelait-il la scolastique, — lui paraissait toujours efficace, pourvu que les manuels où elle s’était trop figée « fussent adaptés, non point à l’esprit, mais aux besoins du siècle. »

C’est ainsi que l’inquiétude même suscitée par les ambitions du günthérianisme ramenait l’Eglise vers la Somme de saint Thomas d’Aquin. En pleine bataille contre le protestantisme, les Pères de Trente avaient voulu que devant eux, sur l’autel, à côté des Évangiles, la Somme fût ouverte, pour leur offrir » des avis, des argumens, des oracles ; » et c’était en vue de cette même lutte que certains penseurs d’Allemagne, trois siècles après, souhaitaient d’encadrer le dogme dans une philosophie nouvelle. Mais un vaste parti se formait dans l’Eglise pour qu’en Allemagne même saint Thomas ressuscité mît un terme au fidéisme inconscient où s’étaient enlizées les imaginations romantiques et au rationalisme formel dans lequel se drapait l’apologétique günthérienne.