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solitaire, pour la pensée ; et dans une langue broussailleuse, il édifiait des synthèses dont l’Allemagne s’exaltait. A son école, la raison retrouvait et reconstituait les mystères, et peu s’en fallait qu’elle ne les comprît. Elle conquérait, par son propre mécanisme, les vérités qui avaient fait la substance de la révélation. Quel échec pour les libertins, narrateurs audacieux d’on ne sait quel conflit entre les exigences rationnelles et la vérité révélée ! La raison ferait mieux, désormais, que de se soumettre à la révélation ; elle parviendrait par son propre travail, — comme l’on parvient à une découverte, — jusqu’à ces notions mêmes dont Jésus fit aux hommes le cadeau ; et tandis que la scolastique, pour faire saisir quelque chose des mystères, n’avait pu recourir qu’au procédé d’ « analogie, » la pensée günthérienne, enfin, saurait les voir bien en face, bien à fond. Elle tes transformerait à mesure qu’elle les pénétrerait : car les formules dogmatiques n’étaient que l’expression précaire d’une foi immuable ; efficaces en leur temps contre les erreurs d’une époque, elles devaient se laisser interpréter dans le sens qu’imposait le progrès scientifique et philosophique, jusqu’à ce que survinssent des formules nouvelles, susceptibles de « mieux approprier le fond dogmatique aux modes de la pensée en marche. » Ainsi la raison ressaisirait et repétrirait les apports de la révélation, et Günther pensait que ce serait pour l’Eglise un beau triomphe.

L’illustre Goerres avait naguère goûté cette philosophie. Elle avait l’estime de Doellinger, et les ardentes sympathies du cardinal Diepenbrock, évêque de Breslau, et de son successeur Foerster, du cardinal Schwarzenberg, archevêque de Prague, de l’évêque de Trêves, Arnoldi, de l’évêque de Salzbourg, Tarnoczi. Elle était enseignée par Knoodt et Baltzer aux universités de Bonn et de Breslau, par Merten au séminaire de Trêves. Le bénédictin Pappalettere projetait de fonder, aux portes mêmes de Rome, une sorte d’Académie où Günther lui-même serait professeur. Des juges plus réservés admiraient du moins l’inspiration du système : « Des censures viendront, pronostiquait Lasaulx, parce que tout n’est pas rigoureusement exact : ce grandiose édifice, corniches et fondations, subira des modifications partielles ; mais le noble désir de faire du dogme révélé un objet de compréhension scientifique ne sera pas condamné. »

Sur les cimes nouvelles où elle s’était hissée pour prendre « scientifiquement » possession du dogme, l’intelligence