Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/282

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


I

Le romantisme avait incliné vers une certaine religiosité catholique les imaginations et les cœurs. Mais entre l’état d’esprit d’un romantique et celui d’un théologien, un abîme subsistait. Vague par instinct, et vague aussi, de propos délibéré, la pensée romantique rêvait d’un syncrétisme religieux, qui voilerait d’un nuage mystique les arêtes d’un dogme importun, et dans lequel toutes les confessions communieraient. Elle offrait en hommage au Christ, et même à l’Église, les émotions religieuses de l’humanité tout entière et du passé tout entier ; mais lorsqu’un Lasaulx, par exemple, considérait les penseurs de l’antiquité comme des révélateurs du vrai Dieu presque au même titre que Moïse, l’Église jugeait que Lasaulx brouillait tout et s’embrouillait lui-même. Schelling vieillissant avait séduit beaucoup de catholiques ; ses leçons de Munich et de Berlin leur étaient apparues comme une insigne préparation à leur foi. Et sans doute, par une réaction contre un rationalisme étriqué, une partie de l’Allemagne intellectuelle avait reflué vers les portiques de l’Église, mais avec moins de souci d’y entrer elle-même que d’attirer jusqu’à ce même seuil, pour une sorte de congrès des religiosités, tout ce qu’on entrevoyait de pensées religieuses, de souffrances religieuses, de velléités religieuses. Indolent et fiévreux, mélancolique et caressant, attrayant par ses malaises mêmes, il semblait que le romantisme fût descendu sur la place publique, comme le serviteur de l’Évangile, pour convoquer des passans au banquet du Christ, mais il les avait menés, seulement, à proximité de la salle du festin, car il excellait mieux à faire pressentir l’Église qu’à la faire connaître.

Alors avaient surgi deux systèmes, qui insistaient avec une force étrange sur la part de l’élément intellectuel dans la croyance religieuse : à l’écart de l’impressionnisme romantique se dressait un intellectualisme rigide, si exigeant, si absolu, qu’on se demandait quelle place restait, dans l’acte de foi, pour la générosité de Dieu et pour la générosité de l’homme, pour la grâce et pour la volonté. L’un de ces systèmes, frappé par Grégoire XVI, se nommait l’hermésianisme ; l’autre, très goûté vers 1850, était le günthérianisme.

Günther, prêtre pieux et profond, menait à Vienne une vie