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refuse encore, mais tout le monde autour d’elle en admet la nécessité.

— Dieu veuille que vous réussissiez, répliquai-je en me levant pour m’en aller. Car je ne voulais pas être entraînée à dire plus que je n’avais projeté.

— Encore un mot, ajouta-t-elle en me retenant par le bras, si Mme la duchesse de Berry consent à partir, le pourra-t-elle ? la laissera-t-on s’échapper ?

— Hélas ! repris-je, il y a encore huit jours, je vous aurais répondu oui, bien affirmativement ; aujourd’hui, j’ose seulement dire : je l’espère, et presque : je le crois. Mais, soyez-en persuadée, c’est la seule chance possible d’éviter ce que nous déplorerions également toutes les deux.

Elle me remercia de nouveau, m’embrassa cordialement et je me retirai. Elle avait bien vu que je n’en voulais pas dire davantage, et avait trop de tact pour m’adresser aucune question.

M. Pasquier, de son côté, avait trouvé M. Mounier et lui avait d’autant plus facilement fait comprendre le danger, non seulement pour la princesse, mais encore pour le pays et pour la famille régnante, — danger tout moral que Thiers et apparemment ses collègues ne reconnaissaient pas, — que M. Mounier, plein de sagesse, exempt d’esprit de parti, quoique dans les rangs légitimistes, était en même temps fort éclairé.

— Maintenant, me dit M. Pasquier, il n’y a plus à rien à faire, il nous faut attendre les événemens…

Dans la matinée du 8 novembre je reçus un billet de M. Pasquier ; il me disait :

« L’œuvre est accomplie… Elle est prise… du moins sans coup férir… Voilà un des dangers passé… Plaise au ciel qu’on échappe aux autres !… »

Le Moniteur du lendemain confirma la nouvelle. J’allai chez la Reine, pensant bien qu’elle trouverait quelque douceur à s’épancher avec la certitude de n’être point compromise. Elle remerciait Dieu que nul accident ne fût arrivé dans l’arrestation.

« Avec la tête de Caroline, vous savez, ma chère, il y avait tant à craindre !… » Et puis, elle répétait mille fois : « Elle la voulu, elle l’a voulu, ce n’est pas la faute du Roi, elle l’a voulu ! »