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en ce moment. M. Pasquier apporta de nouveaux argumens à l’appui de l’opinion qu’il avait déjà soutenue.

M. Thiers était visiblement ébranlé, mais revenait à dire cette arrestation nécessaire à la consolidation du pouvoir royal. Il en était trop persuadé pour se refuser à accepter la responsabilité de tous les inconvéniens dont nous le menacions. La pendule, en sonnant deux heures après minuit, fit lever ces trois messieurs à la fois et ils me laissèrent seule.

A peine achevais-je de déjeuner le lendemain, M. Pasquier arriva chez moi :

— Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, me dit-il en entrant.

— Je vous en offre autant, répliquai-je.

Nous échangeâmes de tristes prévisions, des craintes, des regrets, en commentant les discours de la veille. M. Pasquier était très soucieux.

— Peut-être, dis-je enfin, Thiers ne réussira-t-il pas à la prendre.

— Oh ! il réussira, cette fois-ci ou une autre ; il est imprudent mais il est très habile. La difficulté d’ailleurs ne consiste pas à la prendre, mais à la garder avec sécurité pour elle et pour les autres, sans enflammer les passions dans tous les partis, attiser la guerre civile que l’on croit éteindre, et forcer peut-être à commettre des actions, devant lesquelles on reculerait certainement si on les prévoyait. D’un autre côté, je ne puis nier que Thiers, dans son intérêt personnel du moment, n’ait à gagner à se présenter aux Chambres avec cette arrestation accomplie ; et à pouvoir dire : Ce que les autres n’ont pu faire en six mois, moi, j’y ai réussi en trois semaines. Cela n’est pas vrai, mais cela en a l’air ; c’est tout ce qu’il faut aux assemblées, d’autant que personne ne peut le démentir. Cependant, notre conversation d’hier soir l’a un peu ébranlé. Malgré toute son audace, Thiers a trop d’esprit pour n’être point accessible à la raison ; peut-être se contenterait-il encore du départ… Mais, elle, ne veut pas partir !

Nous continuâmes à deviser ainsi. Et plus nous considérions la question sous toutes ses faces, plus nous y découvrions des motifs de souci. S’il y avait conflit, si le sang de la princesse y coulait, quel baptême pour le trône occupé par le fils d’un juge de Louis XVI !

Si les haines vindicatives des révolutionnaires traînaient la