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détenu, dans un département mis en état de siège, par un gouvernement qu’il supposait exaspéré de l’insurrection écrasée dans la capitale, et de celle fomentée dans la Vendée.

M. Berryer, il faut le dire, appartient à un parti qui n’a pas fait abnégation de vengeances et que le triomphe n’adoucit pas ; aussi la pensée des Lavalette, des Faucher, des Caron, etc., lui revint, et ses craintes n’en furent que plus vives, car aucun d’eux n’était aussi coupable que lui.

Son premier soin, en arrivant dans la prison, fut d’écrire cinq lettres à MM. le duc de Bellune, le duc de Fitzjames, le chancelier Pastoret, le vicomte de Chateaubriand et le comte Hyde de Neuville, en forme de circulaire, où il faisait appel à leur loyauté, — ayant soin de les nommer tous les cinq dans chaque lettre, — en les priant de se reconnaître solidaires de toutes les démarches faites par lui dans ce voyage entrepris à leur demande.

Les lettres écrites furent remises au gardien de la geôle pour les jeter à la poste. Or M. Berryer, moins qu’un autre, ne pouvait ignorer que des mains du gardien elles allaient tout droit dans celles du juge d’instruction.

Cette démarche, une des plus étranges que la peur pût dicter à un homme d’esprit et de talent, eut les résultats qu’elle devait amener. Les lettres arrivèrent à Paris accompagnées de mandats d’amener contre les cinq personnages désignés.

Le Cabinet en fut vivement contrarié. Ces messieurs assurément ne couraient aucune espèce de danger, aussi purent-ils se poser en martyrs et trancher des héros. Mais le ministère redoutait également l’ovation que leur prépareraient les carlistes, et les cris furibonds de ceux qui s’intitulaient le parti de Juillet contre l’indulgence dont on userait envers eux, comparée à la sévérité, nécessaire parce qu’ils étaient redoutables, qu’il fallait montrer aux factieux républicains.

Toutefois, le mandat suivait la forme voulue par les lois, et les prévenus durent être conduits en prison pendant que le gouvernement négociait avec la justice pour arrêter cette affaire. Tout ce qu’il put faire fut de rendre la détention aussi douce qu’elle finit par être courte.

Le chancelier Pastoret et le maréchal duc de Bellune l’évitèrent en s’éloignant de Paris de quelques lieues. Le duc de Fitzjames et M. de Chateaubriand la subirent de bonne grâce,