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sujet de ces questions délicates, qui les connaît insuffisamment et qui a besoin d’être éclairé. Ce n’est pas tant sur la Chambre que sur l’opinion que les orateurs libéraux doivent agir aujourd’hui, car la Chambre a son siège fait, tandis que l’opinion reste indépendante et peut se ressaisir un jour. On sait à quel point M. Jules Roche connaît notre histoire financière : le passé lui fournit toujours des exemples de ce qu’on propose aujourd’hui, et il montre où toutes ces épreuves conduisent. Il est un de ces érudits qui ont le don de la vie et qui le répandent sur tous les sujets qu’ils traitent. Cela vient de ce que M. Jules Roche est un passionné, mais sa passion est celle du bien public. Après lui, avec lui, MM. Ribot et Aynard ont tout dit. Nous ne les suivrons pas dans leurs discours : le peu de place dont nous disposons n’y suffirait pas. Qu’il nous suffise de dire qu’ils ont tous les trois distingué dans le projet de M. Caillaux, et qu’ils en ont signalé avec éloquence la partie essentielle : à savoir ce que M. le ministre des Finances appelle l’impôt complémentaire. L’impôt complémentaire est l’impôt global et progressif sur le revenu. M. Caillaux laisse subsister, quoi qu’il en dise, la plupart des impôts qui existent aujourd’hui ; il se contente d’en changer quelquefois le nom et de les organiser autrement ; il en crée de nouveaux, comme l’impôt sur les bénéfices agricoles ; il introduit dans tous quelques particularités très dangereuses. Toutefois, s’il s’en tenait là, il ne soulèverait pas contre lui tant de réprobation. Mais à côté de ces impôts, au-dessus d’eux, il place l’impôt complémentaire, destiné à suppléer à l’insuffisance des autres, et peut-être à les remplacer un jour : les socialistes y comptent bien. Par qui sera payé cet impôt ? Par une minorité de contribuables, qui deviendront dès lors taillables et corvéables à merci. Et cette minorité pourra aller, ou plutôt elle ira en se réduisant en nombre à mesure qu’on élèvera le chiffre au-dessus duquel l’impôt devra être payé. C’est ce que M. Ribot a résumé en quelques mots typiques. « Quel est votre système ? a-t-il demandé. Il consiste à parquer dans un endroit réservé, aujourd’hui 480 000 contribuables, demain 167 000 peut-être, si vous élevez à 10 000 le taux de l’exemption, et 64 000 si vous arrivez à 20 000. » M. Caillaux n’arrivera pas à 20 000, ni sans doute à 40 000, mais d’autres y arriveront et nous y conduiront après lui. La tentation deviendra de plus en plus forte d’écraser les riches sous prétexte d’égaliser le niveau de la richesse ; et M. Caillaux aura fourni l’instrument de cette révolution fiscale destinée à préparer une révolution sociale. Ces contribuables de grand luxe, que M. Aynard a qualifiés de « bêtes de somme, »