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Mais, une fois obtenu, ce résultat a paru médiocre. On a voulu pacifier toute la région ambiante : de là les opérations qui, entamées au dernier moment par le général Drude lui-même, ont été poussées par son successeur de Mediouna jusqu’à Ber-Rechid, de Ber-Rechid jusqu’à Settat, et enfin de tous ces points jusqu’à Si-Abd-el-Kerim. L’inconvénient des opérations de ce genre est qu’il est impossible d’y mettre un terme. Quand on s’est avancé de 50 kilomètres plus loin, on a déplacé la difficulté, mais on ne l’a ni supprimée, ni diminuée. Derrière les premières tribus on en trouve toujours de nouvelles, et lorsqu’on croit être au bout de son effort, on est obligé de le recommencer. Le nombre des ennemis qu’on est allé chercher augmente sans cesse : on a beau en tuer, il y en a toujours. Le moment vient où on s’aperçoit qu’on en a trop et qu’on n’est plus soi-même en nombre suffisant. M. le président du Conseil a affirmé que nous n’irions ni à Marakech, ni à Fez : c’est une parole que nous avons enregistrée avec satisfaction pour un double motif, d’abord parce qu’un pareil effort nous coûterait cher, ensuite parce qu’il ne résoudrait rien. L’ennemi se reformerait un peu plus loin, soit devant nous pour nous attirer, soit derrière pour nous couper de notre base d’opérations. Nous déplorons, comme tout le monde, que les colonnes du général d’Amade ne soient pas parvenues toutes les quatre à Si-Abd-el-Kerim ; mais quand même elles l’auraient fait, la situation n’aurait pas été aussi changée qu’on paraît le croire. Les mêmes motifs qui nous auraient fait aller à Si-Abd-el-Kerim nous auraient sollicités à aller plus loin encore, et il en sera ainsi jusqu’à ce que nous ayons enfin une politique. Jusqu’ici, nous n’en avons pas, ou plutôt le gouvernement en professe une et il se laisse entraîner à en suivre une autre. Il proteste contre toute idée de faire la conquête du Maroc, et une pareille idée serait effectivement une folie ; mais il s’engage dans une voie qui ne conduit à rien, à moins qu’on ne la parcoure tout entière, c’est-à-dire, jusqu’à la conquête. De là ses déceptions, et nos inquiétudes.

La marche en avant de nos colonnes jusqu’à Settat ne s’expliquerait pas s’il ne s’y était mêlé des préoccupations politiques : on a voulu aider le sultan Abd-el-Aziz contre son frère Moulaï-Hafid. En même temps, on disait, bien entendu, qu’on se gardait soigneusement de prendre parti entre les deux frères. On le répète avec un peu plus de sincérité peut-être, — encore n’en sommes-nous pas très sûr, — depuis que Moulaï-Hafid a été proclamé à Fez ; mais on n’a pas su s’arrêter dans le mouvement qu’on avait commencé, et on l’a continué.