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ayant grand besoin d’y prendre un peu de repos. Ce besoin, les colonnes qui étaient arrivées à Si-Abd-el-Kerim l’éprouvaient également : le général d’Amade a repris avec elles le chemin de Casablanca, et les Marocains ont réoccupé les points que nous avions abandonnés. Il faut avoir la franchise de le dire, l’opération n’avait qu’à demi réussi. Sans doute, les Marocains ont été battus dans tous les combats où ils se sont engagés ; ils ont reçu de très rudes leçons ; mais nous n’avons pas pu conserver les positions que nous avions péniblement atteintes, et nous sommes revenus sur la côte pour y reprendre des forces. Cela prouve, avec évidence semble-t-il, que nous n’en avions pas assez, en dépit des assertions contraires que le gouvernement a multipliées devant la Chambre et devant le Sénat. Le plan du général d’Amade était bien conçu. Il a beaucoup d’analogie avec celui que le général Lyautey a si heureusement exécuté sur la frontière algérienne. La différence est que le général Lyautey connaissait depuis longtemps son terrain et les tribus qui l’occupent, qu’il avait bien en main des troupes en nombre suffisant, enfin, peut-être, qu’il a rencontré une résistance moindre. Le fanatisme marocain s’est particulièrement porté du côté de Casablanca. Le général d’Amade, au contraire, n’avait pas assez d’hommes pour constituer fortement les colonnes Brulard et Taupin. Aussi, lorsque l’étau dans lequel il se proposait de prendre les tribus des Mzab et des Medakra a été sur le point de se fermer, une des branches a fléchi.

Nous réparerons certainement ce demi-échec : mais il contient pour nous une double leçon, militaire et politique. Le gouvernement n’a pas cessé de répéter qu’il n’avait pas d’autre but que d’assurer la sécurité de Casablanca, comme la conférence d’Algésiras lui en a d’ailleurs confié la mission, conjointement avec l’Espagne. Pour atteindre ce but, la prudence du général Drude suffisait. On a beaucoup attaqué le général Drude ; on lui a reproché de n’avoir pas tiré un assez grand parti des forces qu’on avait mises à sa disposition ; on a assuré qu’il avait les moyens de tout balayer dans un très large périmètre autour de Casablanca. Bref, on l’a remplacé par un général dont on attendait ce qu’il n’avait pas su faire lui-même. De la retraite d’où il les contemple aujourd’hui, le général Drude aie droit de penser que les événemens lui donnent raison : il pourrait même y mettre quelque ironie, si le patriotisme ne dominait pas chez lui tous les autres sentimens. On lui avait demandé d’assurer la sécurité de Casablanca, et il l’avait fait. La sécurité, de son temps, était parfaite à Casablanca : nous ne croyons pas qu’elle ait augmenté depuis.