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Aussi bien, en ce sujet familier et voisin de nous, le langage musical n’a jamais ou presque jamais rien abandonné de son élévation et de sa noblesse. La partition de Faust renferme peu de passages tout à fait insignifians ou vulgaires. Par le style autant que par la pensée, elle occupe, et sans doute après un demi-siècle il est permis de prévoir qu’elle conservera parmi les chefs-d’œuvre de France une place d’élection. Dans un cadre moyen, l’œuvre est grande. Elle l’est par l’intensité du sentiment et la pureté de la forme. Toute proportion gardée, elle l’est comme le temple athénien dont Gounod écrivait un jour : « Il est grand par la présence de cette grâce suprême qui discipline et tranquillise la force et qui exclut du domaine de l’art toute emphase et tout excès. » Faust demeurera chez nous l’exemplaire achevé d’un art que le maître encore, — on sait qu’il avait le secret des formules profondes, — résumait en deux mois, qui disent beaucoup : supérieur et prochain.

Nous finirions volontiers, de même que nous avons commencé, par des vers de Goethe, par la seconde strophe de la dédicace de Faust. Elle est également adressée aux figures anciennes et reparues. « Vous me rapportez mainte image des jours heureux et je vois se lever de nouveau bien des ombres chéries. Comme une vieille chanson qui se perd à demi, voici les premiers amours et les premières amitiés… » Tel est, pour les musiciens de notre âge, le « charme, » au sens un peu magique, de cette musique de Gounod. Elle est liée à leur jeunesse, et ceux-là surtout n’y deviendront jamais insensibles, à qui le maître naguère, avec tout son génie, avait donné quelque chose aussi de son cœur.


Le moment ne serait pas mal choisi pour méditer sur les paroles de Shakespeare : « Est-il croyable que des boyaux de mouton puissent exalter ainsi nos âmes ! » Les deux premiers mois de cette année ont appartenu aux violonistes et même aux violons. Un petit livre fort bien fait : le Paganini de M. J.-G. Prod’homme[1], est déjà depuis quelque temps sur notre table. Un autre, beaucoup plus considérable, vient de l’y rejoindre. Il porte ce titre : Antoine Stradivarius, sa vie et son œuvre[2].

  1. Dans la collection : les Musiciens célèbres ; Laurens, éditeur.
  2. 1 vol., par Henri Hill, Arthur F. Hill, F. S. a et Alfred E. Hill ; avec une introduction de M. Camille Barrère, ambassadeur de France en Italie, traduit de l’anglais par M. Maurice Reynold avec le concours de M. Louis Cézard. — Paris, chez MM. Silvestre et Maucotel, luthiers, 29, faubourg Poissonnière et librairie Fischbacher. — Londres, William E. Hill et fils, luthiers, 140, New Bond-Street, 1907.