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Brangaine interrompt l’extase des amans de Cornouailles, ce n’est que pour les dimensions, non pour la beauté. On s’en va répétant aujourd’hui qu’il est impossible d’écouter Gounod après Wagner, et Faust après Tristan. Oh ! que notre vieux professeur avait raison jadis, et combien il est vrai souvent que cet « on, » ce fameux « on, » n’est qu’une bête !

Il l’est quand, insensible à tant de charme, il méconnaît également, dans la scène de la cathédrale, et la force et la grandeur. Dramatique et religieuse, voire liturgique, d’église en un mot, — nous avons naguère essayé de le faire voir, — plus qu’à l’église même, la musique est ici tout entière et comme dans tous les sens, a la taille de l’action et du lieu. Nous parlions tout à l’heure de certaines choses qui n’avaient pas été dites avant Gounod, ou qui ne l’avaient pas été de cette manière. Il semble bien que le repentir ou la pénitence ne s’était pas encore exprimé dans une phrase comparable à la phrase d’entrée de Marguerite, dans une période partagée ainsi, quant à la forme, entre le récitatif et la mélodie, et, pour le sentiment, respirant ensemble tant de noblesse et tant d’humilité.

« Le sentiment, » dit Faust, le Faust de Goethe, à Gretchen, « nomme-le comme tu voudras. Nomme-le bonheur ! cœur ! amour ! Dieu ! Je n’ai point de noms pour cela I Le sentiment est tout ; le nom n’est que bruit et fumée, obscurcissant la céleste flamme ! » Pauvres de nous, qui nous mêlons d’écrire de musique ! Nous ne faisons qu’obscurcir la flamme. Le sentiment de la musique, voilà ce que nous voudrions toujours et ne savons jamais nommer. Pourtant, cœur, amour, amour surtout, et Dieu même, avec, en plus, une vague, une attirante tristesse, le sentiment de la musique de Gounod pourrait s’appeler de tous ces noms. Pour les justifier, il ne faut pas même une page de Faust, il suffit de bien moins : de quelques lignes, de quelques notes, parfois d’une mesure ou d’un accord. C’est assez d’une inflexion comme celle-ci : J’ai langui triste et solitaire, ou comme la réponse de Marguerite : Mon frère est soldat… J’ai perdu ma mère, avec le peu de notes exquises dont l’orchestre l’interrompt et la retarde. Ailleurs, les notes seules, sans paroles, en disent assez. Avant que le rideau se lève sur le jardin, rien qu’à de mélancoliques et tendres ritournelles, à de certains pizzicati furtifs qui se détachent sur un fond grave et doux, à la réplique ardente et douloureuse des violons, à tout cela, qui n’est rien, ne reconnaissez-vous pas le mystère, la solitude, la paix d’un asile encore pur, et qui bientôt sera troublé ? Peu d’instans après, ce n’est rien non plus que l’entrée de Marguerite ; rien, cette