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à deux voix : O nuit d’amour, ciel radieux ! D’abord quatre mesures à demi chantantes et muettes à demi, des accords dégradés sur lesquels un seul mot : Éternelle ! flotte longuement et s’éteint. Puis c’est l’invocation ardente, c’est le ravissement et l’extase ; c’est la grâce toujours, mais c’est aussi l’intensité et la profondeur ; surtout c’est une mélodie chez nous toute nouvelle et des sons dont il est juste de dire que notre air natal ne les avait jamais formés.

Au lieu de se déployer et de se donner carrière, cette mélodie aime quelquefois à se réduire, afin de pouvoir partout se glisser. Alors elle anime le moindre détail de l’action et du dialogue, elle excelle à le faire musical et chantant. Maître, quand il le faut, du discours soutenu, Gounod l’est aussi de la causerie aisée et libre. Le quatuor du jardin est un chef-d’œuvre, et peut-être notre chef-d’œuvre français en ce genre. J’en goûte fort l’exorde par insinuation, par un trait de violon qui s’enroule et se faufile. Impossible de noter avec plus de justesse de simples, très simples mots, tels que ceux-ci : Prenez mon bras un moment. On dirait que la musique a trouvé là comme la formule sonore de l’invitation et du geste même. Écoutez en esprit cet entretien, présent à toutes les mémoires. Suivez ces phrases qui sont tantôt mélodie et tantôt récitatif, que l’orchestre accompagne, à moins qu’il ne les interrompe, ou bien encore qu’il ne les termine. Rappelez-vous ces questions, ces réponses diverses, toujours élégantes et toujours expressives, toute cette musique enfin qui chante et qui parle à la fois. Ni dans les parties plutôt dialoguées et scéniques, ni dans la fin, plus concertante et plus purement musicale, où passe un souffle de Mozart, du Mozart du « Trio des Masques, » nulle part vous ne trouverez dans ce quatuor une faute contre le goût et le style, contre le naturel et la vérité.

Vous y trouverez même, en cet acte du jardin qui contient tant de choses, vous y trouverez la mélodie à l’orchestre et « la mélodie infinie. » J’en sais peu d’exemples aussi ravissans que le chant de Marguerite à la fenêtre. Que dis-je ! Marguerite ici n’est pas seule à chanter. La symphonie l’accompagne ou plutôt l’environne et l’enlace. Chaque voix de l’orchestre, un hautbois, un cor anglais, un violoncelle, est non seulement unie, mais égale à sa voix. Ainsi, de toutes les manières, par le rapport entre la monodie vocale et la polyphonie des instrumens, par le développement des thèmes, par le renoncement volontaire aux formes de l’ « air » ou du morceau, une telle page est véritablement symphonique. Si peut-être elle le cède à d’autres pages d’amour, et notamment au sublime épisode où