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la première vision. Mais surtout, dans le passage en question, nécessité musicale. Sous la noble déclamation de Méphistophélès, offrant au docteur la libation ardente, chante déjà l’un des thèmes futurs de la scène d’amour. Au-dessus, le murmure des violons, leur mouvement rapide et circulaire imite le bruit du rouet. Dans la partition originale, ce dessin revenait plus tard. Modifié légèrement, de majeur devenu mineur, et par là mélancolique, il accompagnait un bel air, supprimé depuis, de Marguerite abandonnée et plaintive. Fidèle jusqu’au bout, après le travail heureux d’autrefois, il rythmait encore la tâche attristée de la pâle fileuse. L’air a malheureusement disparu, pour faire place à certaine romance, — heureusement retranchée à son tour, — de Siebel. Mais qu’importe ? L’accompagnement caractéristique n’en subsiste pas moins au premier tableau. Il le commande, il le règle en quelque sorte, et la mise en scène, ici comme partout, devrait correspondre à la musique, plutôt que de l’oublier ou de la méconnaître[1].

Ailleurs, en maint endroit, elle s’y rapporte avec intelligence, avec poésie. Je ne parle pas de l’apothéose finale, où l’ancienne assomption de Marguerite, en style de la rue Saint-Sulpice, est devenue un paysage de cimetière vaguement florentin, pseudo-primitif, et qui déconcerte un peu. Mais le décor de l’église est excellent, avec la perspective de la nef tournant derrière le chœur, où la musique se déploie et roule. « Et voici le jardin charmant, » que baigne tout entier un clair de lune égal, au lieu du rayon unique et réservé si longtemps aux deux seuls amoureux. Quant aux soldats, ils reviennent à présent, un jour d’hiver et de neige, dans un décor très admiré, mais dont le dessin et la couleur pourraient avoir plus de caractère. Enfin, de ces vivans tableaux, le plus vivant est celui de la Kermesse. Une joie alerte et légère l’anime, le partage en groupes qui se meuvent avec aisance, se rencontrent, se mêlent sans lourdeur, ni désordre. Les vieillards ne viennent plus, à l’avant-scène et en rang, nous conter, sur le rythme d’un chœur syllabique et fameux, leurs propos et leurs plaisirs des « jours de dimanche et de fête. » Surtout, la valse a paru plus allemande et, comme jamais encore, délicieuse de discrétion et d’intimité. A travers la foule et la danse, Marguerite, que rien ne distingue, se fraie avec peine un chemin. Au lieu de s’écarter devant elle avec respect et symétrie, on

  1. Nous venons seulement d’apprendre (après l’impression de ces lignes) que l’apparition de Marguerite au rouet a été rétablie. Il n’était plus temps de retirer, — matériellement, — notre critique. Aussi bien elle tombe maintenant, d’elle-même.