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ne sont jamais cirées, l’aspect est lamentable. Pour les fêtes, les jeunes gens lissent leurs cheveux avec de la pommade et se parfument avec une essence d’origine douteuse et très musquée et croient remédier ainsi au délabrement de leur costume. Sous ce rapport, la différence entre les élèves des écoles primaires et ceux des écoles supérieures est très marquée, malgré le rapprochement d’âge. Je constate ce fait, parmi d’autres semblables, comme exemple des difficultés d’amalgamation, d’adaptation de l’ancien régime avec le moderne. Après tout, les actions les plus insignifiantes de notre vie quotidienne ne sont-elles pas en quelque sorte le résultat de pensées et de coutumes des générations passées ? La propreté, la bonne tenue, le bon goût et l’ordre domestiques au Japon sont l’héritage du passé, de la civilisation d’autrefois, dont l’origine se perd dans la nuit des temps préhistoriques. Les vieilles qualités de la race semblent ne pas pouvoir survivre au nouvel état de choses ; le fruit d’un travail séculaire tombe au contact d’idées nouvelles, de principes nouveaux ; tout cela disparaît avec les conditions d’existence qui le firent naître.

N’est-ce pas le sort commun des civilisations antiques ? L’Inde, l’Assyrie, l’Egypte et la Grèce, n’ont-elles pas toutes été transformées l’une après l’autre ? Même dans les pays latins, l’ordre ancien sombra sous l’influence d’élémens plus forts et souvent plus rudes. Nous voyons jusqu’à un certain point les mêmes phénomènes au Japon. La délicatesse et la simplicité de l’antique civilisation s’effacent et sont peu à peu détruites par l’esprit commercial et cosmopolite. Les premières victimes dans la lutte sont toujours l’art et la littérature, — telles des fleurs plus frêles et plus exquises qui se fanent plus vite sous l’étreinte de mains grossières. Les chefs-d’œuvre ne sont plus appréciés par le peuple, qui leur préfère les objets médiocres : la production s’en ressent. L’étranger qui arrive au Japon achète de préférence des articles de pacotille, des broderies multicolores, des sculptures incohérentes, des bronzes coloriés : il admire dans l’objet trop chargé d’ornemens l’habile exécution de l’ouvrier plutôt que l’inspiration créatrice de l’artiste.

Dès l’arrivée du premier étranger, le Japon a appris un art nouveau, fait pour captiver et pour étonner le millionnaire de San Francisco ou de Pittsburg. Nous n’avons vraiment pas le droit de nous étonner si le Japonais, lui aussi, est attiré par les horreurs du marché européen. Tout ce qui est clinquant,