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nostalgie aventureuse, ces compositions sont écrites dans une langue variée, insinuante et colorée, dans une langue aux images fortes et neuves, qui leur donne un charme et une saveur imprévus. De plus, ce sont des œuvres dans lesquelles l’idée ne fait pas tort à la parure dont elle est rehaussée, de même que les grâces de la forme et la diversité du cadre n’entament point la valeur de la pensée.

Par malheur, cette pensée inquiète trop le moraliste. Et nous touchons ici du doigt l’une des plaies les plus aiguës et les plus attristantes de la littérature féminine moderne. Elle semble née de cet esprit de révolte contre la situation que l’égoïsme masculin a faite à la femme, ou de cette fièvre d’indépendance et d’égalité qui les travaille toutes. Les plus autorisées d’entre celles qui écrivent, loin de cacher cet esprit, le proclament et s’en font gloire. Jadis, le roman féminin, composé presque toujours par des femmes du monde en vue d’offrir aux jeunes filles un divertissement intellectuel sans danger, manquait au premier chef de franchise et de naturel et péchait par un optimisme vertueux conventionnel à l’excès. Combien nous semblons revenus de cette époque où Stendhal regrettait que les femmes auteurs ne fussent pas plus franches ! Elles le sont aujourd’hui. Depuis Gyp, qui, je crois bien, fut la première à « sortir sans fichu, » — pour employer une expression chère à l’auteur de Rouge et Noir, — les femmes sont devenues singulièrement hardies dans l’exploration de l’amour, dans la description des étreintes, dans l’emploi du mot cru. Leurs romans sont presque toujours des livres « libres. » Et ce n’est pas sans un regret mélancolique que nous voyons de grands talens donner la consécration de leur autorité à des audaces de plume qui, quoi qu’on en dise ou quoi qu’on en pense, découronneront toujours la femme de cette auréole de douceur chaste et de grâce pudique qui fut, depuis l’heure lointaine où le Christianisme la releva de l’abjection païenne, le plus séduisant, le plus irrésistible, et le moins contestable de ses attraits,


EUGENE GILBERT.