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plus originaux. Mais la forme le préoccupe surtout. On devine qu’il écrit pour son plaisir propre. Avec quelle patience ne s’est-il pas exercé à manier une langue où la finesse mordante d’une sorte d’humour coupant et froid, qui est tout à fait un goût contemporain, se relève de termes et de tournures empruntées aux littérateurs du XVIIIe siècle ! Armé de cet outil souple et bien trempé, il cisèle des figures qui intéressent et divertissent et qui sont curieuses d’aspect et de contours, étant souvent même singularisées par un tic discret. Plusieurs sont des types dont le souvenir s’accroche à notre mémoire.

On a voulu parler de pastiches du XVIIe et du XVIIIe siècle à propos de certains contes de M. de Régnier. Les défenseurs du romancier ont aisément répondu que le pastiche comporte une part de copie servile, une imitation sans personnalité, où le modèle, avec toutes ses tares mêmes, transparaît grossièrement. Rien de pareil chez l’auteur du Mariage de minuit. Peut-être a-t-il pris épisodiquement le ton de quelques-uns de ses modèles. Mais deux originalités lui demeurent personnelles : sa vision, d’abord, qui refond mille élémens divers, anciens ou modernes, et qui met dans ses créations une si fraîche spontanéité ; puis son style qui toujours lui reste propre. Atmosphère de libertinage et d’épicurisme, de satire et de tendresse, de tristesse désabusée et d’enjouement, action originale, mise en valeur par une langue alerte, claire et naturelle, voilà, en résumé, le roman de M. de Régnier


VI

Ce coup d’œil promené à vol d’oiseau sur les tendances diverses que le roman français a manifestées au cours des dix dernières années serait injustement incomplet, si je ne terminais en signalant l’efflorescence singulière et récente de la littérature féminine. Et je n’entends pas parler ici des écrivains qui, à la suite, notamment, de MM. Jules Bois et Albert Cim, ou de M. Marcel Prévost dans les Vierges fortes, ont voulu défendre la cause du féminisme. M. Marcel Prévost, néanmoins, doit nous retenir un instant. Pendant longtemps, l’auteur des Demi-Vierges s’est attaché à n’être que l’analyste aigu et un peu pervers des roueries amoureuses et l’observateur voluptueusement élégant et attendri des sensualités féminines. Il n’a pas négligé, d’autre