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religieuse. Dans les Oberlé, où le problème de l’annexion alsacienne est traité de façon si patriotique, M. Bazin s’est attaché à composer une sorte de roman national où l’histoire, le patriotisme et la philosophie sociale même se prêtent un mutuel concours.

Artiste délicat et sensitif, assuré d’une influence durable parce que la puissance de son art n’est point violente, — ni même toujours très apparente, — mais qu’elle tient à une observation profonde de l’âme humaine et des mouvemens du cœur, M. René Bazin est le traducteur le plus exact de la mentalité et de la vie provinciales : la Sarcelle bleue, les Noëllet, Ma tante Giron, Une tache d’encre, Mme Corentine reflètent avec ferveur et avec une précision pittoresque cette déformation spéciale, — tantôt heureuse et noble, tantôt piquante ou amusante, — que l’existence de province imprime aux idées et aux habitudes morales.

Dans les romans qui caractérisent sa seconde manière et que j’ai énumérés plus haut, M. René Bazin, en même temps qu’il élargissait sa vision, éclairait son œuvre à la lumière d’une philosophie plus grave, envisageait la vie avec plus de hardiesse, et s’attachait à mettre le roman social à la portée du peuple. C’est là certainement l’un des bienfaits les plus précieux que lui devra la littérature contemporaine. Nul ne s’est mieux exprimé sur ce sujet que lui-même ; nul n’a mieux expliqué pourquoi le roman populaire, s’intéressant à la psychologie des travailleurs, devra forcément s’élever jusqu’au concept d’une sorte de roman social, s’il veut échapper à la grossièreté du roman-feuilleton.

« L’amour, a-t-il dit dans une étude sur les Personnages de roman, n’est que l’épisode sur le terrain de la vie, tantôt le feu d’artifice, tantôt la lampe sage qui veille. Et que cette clarté luise ou non, le travail se poursuit sans relâche. Il est la grande loi dure de l’humanité. Il nous touche par la douleur, par les destinées qu’il nourrit, par les conditions qu’il mélange, par les antagonismes qu’il crée. Tous les états de fortune relèvent de lui ; tous les hommes sont bénéficiaires de l’effort. Et comme il groupe les êtres, il appelle et il use aussi toutes leurs facultés maîtresses. Qui pourrait ne pas trouver qu’il est beau d’étudier une intelligence aux prises avec les problèmes les plus vivans qui soient : la dépense prodigieuse d’énergie que suppose une affaire prospère ; la lutte contre la concurrence, et les angoisses, et l’orgueil des triomphes rapides ; l’obéissance d’un personnel