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reconnaissantes. Puis il parle, et une solidarité intense est éveillée en nous par sa parole ; on croit entendre le cri d’une âme tordue par des affres déchirantes et subtiles. C’est qu’il y a au fond même de sa personnalité d’écrivain, une large tendresse de cœur, un sens d’apitoiement toujours éveillé, et prêt à comprendre toutes les douleurs et toutes les misères. Quand nous lisons les Désenchantées, nous nous demandons si quelque vague de ce courant si puissant de solidarité, — que nous verrons envahir les plus remarquables romans d’aujourd’hui, — n’a pas effleuré l’âme de Pierre Loti à son tour et si ce n’est pas comme une contribution à l’élan de nos romanciers vers un art social et économique qu’il faut envisager ce roman de pitié et de compréhension fraternelle ? Nous n’avons pas à rappeler aux lecteurs de la Revue les beautés du récit et la magnificence de son cadre ; il importe pourtant de faire admirer l’enthousiasme et l’éternelle jeunesse de cœur qui brûle, comme un feu mystérieux, sous la conception de l’artiste. Ce ne sont pas seulement d’incomparables paysages dont les lignes se profilent avec une grâce ensorcelante, c’est toute la vie lamentable et somptueuse des pauvres femmes turques, opprimées dans l’étau de coutumes millénaires, qui est reconstituée et racontée avec autant, de généreuse mélancolie que de flamme indignée. L’atroce détresse de ces malheureuses, desséchées moralement et physiquement étiolées sous le ciel paradisiaque de Stamboul, parce que sur elles semble retombée la lourde pierre d’une civilisation morte, voilà ce que les Désenchantées ont pour jamais buriné dans notre mémoire.


II

Un grand nombre de romanciers ont donc été amenés à introduire un élément nouveau dans la vie des personnages qu’ils créaient pour animer leurs fictions. Ils en sont venus à mêler à la psychologie des héros, ou des groupes destinés à personnifier telle ou telle conception de l’existence, un ressort moral qui n’était plus seulement la passion ou les émois personnels de ces hommes, ni les réactions produites sur leur âme par ces mouvemens. Ils ont prétendu, de plus, montrer en eux l’action des forces sociales et nous faire surprendre les transformations que le travail des idées et que les vicissitudes des mœurs ont