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chapelles sans dogmes neufs, mais qui visent à faire prévaloir certaines esthétiques nettement distinctes les unes des autres. Ainsi pourrions-nous, sans nous arrêter aux pseudo-écoles du naturisme ou de l’humanisme, distinguer aujourd’hui, dans le roman français, trois ou quatre courans principaux.

Il y aurait surtout à y rechercher la répercussion du tourment social contemporain, répercussion plus ou moins étroitement associée au réveil des études historiques, ainsi qu’à l’examen des forces qui, à travers les temps, ont pesé sur les sociétés : la fortune du roman de mœurs sociales et collectives s’explique par-là merveilleusement.

Cette même hantise a fait surgir chez beaucoup de romanciers l’inquiétude traditionaliste, un désir pressant de retour au passé. Ces élans, à leur tour, unis déjà chez certains d’entre eux à l’inquiétude des forces morales signalées plus haut et à la poursuite documentaire des fastes historiques, se sont rencontrés principalement parmi les artistes les plus attachés à leur province, parmi des conteurs régionalistes qui, dans la connaissance exacte et chaleureuse de leur sol, ont puisé d’excellentes raisons pour aimer plus tendrement leur foyer natal, le sûr et sacré palladium des mœurs ancestrales.

Tandis qu’ils se livrent au démon intérieur qui fixe à leur activité un but, une pensée d’apostolat, de solidarité ou d’enseignement, d’autres, très nombreux, continuent à n’écrire que pour faire œuvre d’art, à ne conter que pour le plaisir de conter. Des soucis de culture classique, l’utilisation d’une langue mordante ou savoureusement pastichée d’après l’ancien langage du XVIIe siècle, figurent au premier plan de leur idéal esthétique. C’est à tort, d’ailleurs, que l’on a voulu voir une fausse renaissance du classicisme dans ces contes philosophiques et satiriques dont M. Anatole France fut presque seul à associer la ciselure verbale à des vues nihilistes de pamphlétaire social. Il serait, enfin, aussi puéril qu’injuste de ne point mettre en valeur l’un des faits les plus significatifs que le roman français ait eu à enregistrer naguère dans ses annales : je songe à l’envahissement du genre, — sous la poussée du féminisme à la mode, — par un nombre toujours croissant de femmes écrivains.

Est-ce là tout et aurons-nous dit le nécessaire, au moins, quand nous aurons repris avec quelque détail l’analyse de chacun des courans caractéristiques indiqués ici ?