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émue et ait voulu protester contre la désorganisation systématique de ce local government dont l’Angleterre était si fière ; pour que des hommes d’ordre, comme le Lord Provost de Glasgow, sir John U. Primrose, aient dénoncé dans la puissance politique des employés municipaux « un danger qui pourrait devenir destructeur du meilleur gouvernement, » et qu’on ait vu proposer sérieusement par des municipalistes influens, tels sir Th. Hughes deux fois maire de Liverpool, ou M. E. O. Smith, town clerk de Birmingham, de priver les salariés municipaux du droit de vote municipal ! Jugez quelles rumeurs, — ou quels éclats de rire, — soulèverait en France une pareille proposition, visant soit les salariés municipaux, soit les salariés de l’État !


V

Le socialisme, en France, a fait beaucoup plus de progrès dans l’État qu’en Angleterre : il en a fait, — jusqu’à présent, — beaucoup moins dans la société locale, et c’est un des avantages que nous devons à un régime de centralisation rigoureuse dont les résultats nous ont fait à d’autres points de vue tant de mal. Il ne faut pourtant pas se dissimuler qu’en France même, sans parler des expériences collectivistes tentées çà et là par des municipalités révolutionnaires, les dangers du municipalisme s’étendent et s’aggravent chaque jour. Les unes après les autres, la plupart des grandes villes subissent les atteintes du mal qui tantôt pénètre secrètement les organismes locaux, tantôt s’étale au grand jour et développe tous ses abus dans les « régies » municipales. La dette communale de la France, qui, en 1891, ne dépassait pas 3 224 millions de francs, s’élève, en 1905, à 4 082 millions ; la délie de la Ville de Paris atteint aujourd’hui 2 539 millions, alors qu’elle n’était que de 1 872 millions en 1891. Il faut bien reconnaître d’ailleurs que du fait de notre régime social et politique, la gravité du mal, sa nocivité, si l’on peut dire, est beaucoup plus sérieuse chez nous que chez nos voisins d’outre-Manche. En Angleterre, les traditions de la liberté, l’esprit public et l’esprit pratique du citoyen, la forte éducation politique du peuple, l’ont jusqu’à présent atténuée. Mais combien plus aigu ne sera pas le danger dans une nation où ces qualités « civiques » ne se trouvent pas au même degré ; dans un État comme la France où les administrations locales sont loin de