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non seulement elles ont, comme nous l’avons dit, paralysé l’action de la philanthropie privée, mais elles ont élevé de si belles, de si vastes et de si coûteuses habitations que les loyers en sont prohibitifs pour ceux à l’intention de qui ils avaient été élevés. Il y a peu d’années, lord Rosebery, inaugurant à Shoreditch les maisons ouvrières du Conseil de comté de Londres, ne pouvait s’empêcher de dire : « Vous installez ici 300 familles, mais vous en avez mis dehors bien davantage ; vous avez fait d’admirables bâtisses, mais les locataires n’en sont pas ceux que vous avez dépossédés ! » A la même époque, l’inspecteur sanitaire de Londres signalait que les opérations exécutées dans le quartier de Boundary street avaient fait partir plusieurs milliers de personnes, dont il n’était pas revenu 5 pour 100 : les autres, par horreur de la « migration, » étaient allés s’entasser dans les slums restant du voisinage. Etrange façon de « loger » les pauvres, remarque lord Avebury ! « Déloger » serait une expression mieux appropriée[1].

Le point le plus important, dans l’intérêt social, est sans contredit l’action ouvrière des municipalités anglaises. Elles se sont depuis longtemps proposé pour but de relever les conditions du travail et de mener la lutte contre le sweating, l’exploitation de la machine humaine, en assurant aux ouvriers directement ou indirectement employés par elles des avantages exceptionnels, tant au point de vue du taux des salaires qu’à celui de la durée des journées. Elles ont usé pour cela, comme les nôtres, de deux moyens. D’abord l’insertion, dans les cahiers de charges des travaux à l’entreprise de clauses spéciales concernant les heures de travail, le chiffre de la paie, etc. Elles ont parfois été, en ce sens, bien plus loin qu’il n’est permis aux villes françaises de le faire[2] : à Londres notamment, à partir de 1892, les salaires à payer par les entrepreneurs municipaux à leurs ouvriers furent fixés par le Conseil de comté sur la base des tarifs des Tractes Unions (motion de M. John Burns, aujourd’hui président du Local Government Board). Le second moyen, beaucoup plus largement appliqué en Angleterre qu’en France, consiste dans l’exécution de tous les travaux

  1. Lord Avebury, op. cit., p. 52, 53. — Cf. Vermaut, op. cit., p. 193. — On sait qu’à Paris les opérations faites en vue de l’ouverture de la rue Dante, par exemple, ont donné lieu à un résultat analogue.
  2. Décret du 10 août 1899.