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prévenir d’avance toute concurrence en s’assurant, par divers moyens, un monopole légal lorsqu’elles n’avaient pas un monopole de fait : et ceci n’est pas un des côtés les moins curieux de la question. D’après une loi de 1882, une société, pour entreprendre l’éclairage électrique dans une ville, doit obtenir du Board of Trade un order, lequel peut être refusé en cas d’opposition de la part de la municipalité : en fait, les municipalités depuis vingt ans ont toujours fait opposition à ces orders, et souvent avec succès. Autre procédé : les municipalités, pour prévenir l’intrusion d’un industriel entreprenant, demandent elles-mêmes un provisional order pour l’éclairage électrique : l’order obtenu, on le laisse dormir huit ou dix ans dans les cartons, parfois jusqu’à quinze ou dix-huit ans, comme à Acton, à York, à Greenock[1]. En 1901, une compagnie dite du Mond Gas demandait au Parlement par private bill l’autorisation de créer des stations génératrices de gaz : l’association des Municipal Corporations fit rejeter le bill. En 1898, le même fait s’était produit aux dépens de la General Power Distribution Company qui se proposait de fournir la force à bon marché aux industriels des Midlands[2]. Ainsi le municipalisme prend des garanties contre sa rivale, l’initiative privée ; il préfère protection à concurrence, et, né d’une pensée de lutte contre le monopole, il conduit et retourne en fin de compte au monopole. Aussi ne s’étonnera-t-on pas qu’on l’accuse en Angleterre d’être une des causes principales de l’état arriéré de l’industrie électrique (éclairage, transports, etc.) dans les Iles Britanniques par comparaison avec les États-Unis, ou même avec maint pays du continent. Les États-Unis comptent 3 620 stations centrales d’électricité ; l’Angleterre, 457. Ils comptent 16 652 milles de tramways ; l’Angleterre (pour une population urbaine à peu près équivalente), 1 840 seulement[3]. L’invasion des produits américains en Angleterre, fait patent et indiscuté, est particulièrement remarquable en matière d’entreprises électriques, et deux techniciens émérites se croyaient fondés naguère à déclarer devant la Commission d’enquête officielle de 1900 que « si le pays était retardataire en

  1. Meyer, op. cit., p. 256. — Darwin, op. cit., p. 291. — En ce qui concerne les extensions ou améliorations de lignes de tramways, le procédé légal est un peu différent, le résultat, c’est-à-dire la protection administrative, est identique.
  2. Lord Avebury, op. cit., p. 103.
  3. Meyer, op. cit., p. 90, 91, 259, 260, 261.