Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit-on ; pourquoi surcharger le présent au profit de l’avenir ? Et pour un peu l’on ajouterait, selon le mot d’un humoriste : « La postérité ! On nous parle toujours de la postérité ! Mais je voudrais bien savoir ce que la postérité a fait pour nous ! » Quant à l’amortissement des emprunts, il y est pourvu selon l’usage anglais au moyen de fonds spéciaux, dits sinking funds, où l’on verse chaque année une somme telle qu’au bout d’une certaine période tout l’emprunt puisse être remboursé d’un seul coup. Or quel emploi fait-on de ces réserves légales d’amortissement ? On les place, en valeurs réglementairement déterminées. Souvent aussi on les emploie en titres d’emprunt de la même ville, émis pour d’autres services : la ville se prête ainsi de l’argent à elle-même, ou, si l’on veut, le gaz en prête aux tramways, l’eau à l’électricité ; le sinking fund, irréalisable, n’est plus qu’un leurre. — La conclusion, c’est qu’au vrai, les profits nets annoncés par les municipalités sont presque toujours moindres qu’on ne le prétend, et les pertes pires qu’on ne l’avoue. D’après deux experts, le prétendu bénéfice net de 360 867 livres sterling réalisé annuellement par les villes anglaises de 1898 à 1902 sur leurs exploitations industrielles, se changerait, après les régularisations nécessaires, en une perte moyenne annuelle de plus de 5 millions de livres[1]. Paper profits ! dit lord Avebury (sir John Lubbock) : « Beaux profits… sur le papier ! »

La situation financière des villes anglaises se ressent de cet état de choses. En vingt-quatre ans, de 1879-1880 à 1903-1904, le montant de l’impôt local en Angleterre s’est accru de 140 p. 100, passant de 22 021 601 l. st. à 52 941 665 l. st. ; le taux par tête de l’impôt s’est élevé de 17 sh. 4 p. à 1 l. 11 sh. 9 p., et le tarif de l’impôt par rapport au revenu imposable de 3 sh. 3 p. à 5 sh. 9 p. par livre sterling : la population, pendant ce temps, n’augmentait que de 34 pour 100 et le revenu imposable de 52 p. 100[2]. L’accroissement de la dette locale durant la même période a été encore plus marqué : le montant de cette dette s’est accru de 192 pour 100, passant de 136 934 070 l. st., à 398 882 146 l. st. ; le taux de la dette par tête d’habitant a monté de 5 l. 7 sh. 11 p. à

  1. Holt Schooling, loc. cit. — R. P. Porter, op. cit., p. 187. — Lord Avebury, op. cit., p. 68.
  2. Report of the Local Government Board for 1905-06, p. ccvm et 668. — Nous avons évalué dans notre Essai sur les Finances communales (Paris, 1898) à 15 fr. 30 le chiffre par tête de l’impôt communal en France en 1891 : en 1877, le chiffre officiellement indiqué par les statistiques était de 14 fr. 92.