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de la régie sur la concession ? Le risque, l’aléa inhérent à toute entreprise commerciale ou industrielle, risque contre lequel le régime de la concession est une sorte de garantie ou d’assurance, voilà, financièrement, le grand danger du municipalisme, c’est-à-dire du régime de l’exploitation directe. Pas de profit sans risque ; le profit est proportionnel au risque : c’est la nature des choses. Plus grand le profit, plus grand le risque : et la proposition inverse n’est pas vraie ! Corps électifs, c’est-à-dire populaires et changeans, corps administratifs, c’est-à-dire non commerciaux, les municipalités, les autorités publiques responsables des deniers publics, sont-elles faites pour subir elles-mêmes ce risque, et pour faire subir cet aléa aux contribuables ?

On dira sans doute que l’exploitation de ces grands services généraux ou quasi publics ne comporte pas pour une municipalité les mornes risques qu’une exploitation de nature purement commerciale. Une certaine forme de concurrence n’y est pourtant pas impossible : l’électricité a nui au gaz, les divers modes des transports urbains rivalisent les uns avec les autres. De fait, on constate que, sur ces mêmes services, bien des villes anglaises subissent des pertes. Dans les trois dernières années, Manchester a perdu sur son service des eaux de 40 à 27 000 livres sterling par an, Birmingham de 80 à 91 000. De 1893 à 1905, Glasgow a vu neuf fois ses comptes du service électrique se solder en déficit. Les tramways de Huddersfield coûtent à la municipalité de 4 à 10 000 livres sterling net par an[1]. On a relevé qu’en 1904-1905, sur 378 exploitations municipales d’eau, 252 étaient en perte ; sur 177 exploitations municipales de gaz, 40 ; sur 189 exploitations électriques, 64, et sur 58 exploitations de tramways, 13[2]. La situation, bien entendu, est pire en ce qui touche les autres entreprises industrielles des villes, celles que ne protège pas un monopole même relatif et dont l’aléa s’accroît avec la concurrence. C’est ainsi que la plupart des municipalités anglaises encourent de grosses pertes du fait de leurs bains et lavoirs, de la construction de leurs maisons ouvrières ; Brighton, Portsmouth et Hull sont en déficit pour leur

  1. Chiffres extraits de l’ouvrage précité de M. Boverat sur le Socialisme municipal en Angleterre.
  2. Relevé fait sur le Municipal Yearbook de 1906, par M. R. P. Porter (op. cit., p. 188, 189).