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mais c’est toujours, d’un côté, le conseiller paternel et affectueux qui parle, et, de l’autre, le disciple respectueux et dévoué. Le même ton règne dans le livre. L’auteur ne revendique d’autre mérite que celui d’une exposition claire et succincte, mettant la doctrine à la portée des non-philosophes. Tout ce qu’il réclame, c’est une certaine liberté d’interprétation, faisant ressortir tel ou tel point particulier, qui lui paraît plus important ou plus directement applicable à la vie[1]. C’est aussi en ce sens, mais avec plus de vivacité, qu’il répond à la dernière lettre de Comte ; blessé dans son amour-propre, il devient agressif à son tour :


Vous me dites que vous avez toujours proclamé l’inutilité des expositions générales projetées par vos disciples quelconques, et que vos grands ouvrages, le Discours, le Catéchisme et l’Appel, suffisent à tous les besoins. A cet égard, je suis d’un avis entièrement différent du vôtre, et je le suis avec tout le monde…

Non seulement une exposition générale du positivisme n’est pas actuellement inutile, mais elle est essentiellement le besoin du moment ; et telle est la pensée de tous, vous seul excepté. J’ai fait acheter votre Catéchisme aux trois personnes les plus intelligentes que j’ai rencontrées à Douai, toutes trois fort bien disposées, et dont deux étaient des médecins. Toutes m’ont dit la même chose : « Je n’y comprends rien… »

Quelles conversions a faites le Catéchisme ? Combien d’exemplaires en ont été vendus ? Quel accueil lui a fait le public ? Quel effet a-t-il produit sur les personnes les plus désireuses de connaître le positivisme, les plus intéressées à le connaître ? Surtout cela, tous vos disciples savent parfaitement à quoi s’en tenir. « Mais qu’est-ce que c’est que d’être positiviste ? m’a dit, en mai 1854, la mère d’un des plus dévoués d’entre eux, voilà ce que je demande à tout le monde, sans que personne puisse me répondre… »

Pour moi, croyant donc qu’une exposition générale était le besoin du moment, et ne voyant personne se mettre à un tel travail, j’ai senti qu’il était de mon devoir de l’entreprendre, et de l’entreprendre malgré vous…

Après m’avoir reproché de n’avoir pas éprouvé le besoin de vous envoyer le premier exemplaire d’un livre que vous aviez formellement déclaré ne pas vouloir lire, vous me parlez du temps que vous avez l’intention de consacrer à cette corvée nécessaire (sa lecture). Nécessaire, pourquoi ? Du moment que le livre paraît sans votre approbation, votre responsabilité n’est pas engagée. Et on a pu vous dire avec quel soin j’ai insisté, dans ma préface, sur cette considération : que je ne prétendais nullement d’une façon absolue expliquer le positivisme, mais ce que moi, M. de Blignières, j’avais trouvé de plus important dans le positivisme. Et je me promets bien de ne laisser échapper,

  1. Voici comment Littré jugeait plus tard le livre de Célestin de Blignières : « Ce livre a donné à son auteur un rang parmi ceux qui s’occupent de philosophie, et est une pièce digne d’être consultée dans la mêlée publique où la philosophie positive commence à être engagée. (Auguste Comte et la Philosophie positive, Paris, 1863 ; p. 658.)