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régime parlementaire[1]. » Littré se sépara pour des motifs à la fois politiques et religieux ; il trouvait contradictoire de demander la liberté de la presse à un dictateur, et la religion de l’humanité, ce prétendu couronnement de l’œuvre, lui paraissait simplement un retour à l’état théologique, une « rétrogradation. » L’école se scinda en deux camps, celui des orthodoxes et celui des indépendans. Quant à Célestin de Blignières, qu’une affection très réelle attachait à Comte, il n’aurait peut-être pas demandé mieux que de demeurer parmi les orthodoxes, sauf à ne pas s’enfermer dans une orthodoxie trop étroite ; mais ce fut Comte qui le désavoua, on va voir pour quelles raisons.

Comte se réservait l’exposition générale de la doctrine, et il pensait l’avoir donnée de main magistrale dans ses deux Cours et dans son Catéchisme, sans parler de ses autres écrits. Il abandonnait à ses disciples le développement de certains détails ou les applications pratiques. Il louait fort des traités comme l’Essai sur la prière de Lonchampt. Or Célestin de Blignières travaillait depuis des années à une Exposition abrégée et populaire de la Philosophie et de la Religion positives, qu’il fit enfin paraître au mois de juin 1857. Il eût été naturel, dit-il dans une lettre à Comte, qu’il lui envoyât le premier exemplaire d’un livre où il n’était question que de lui. Mais il sait que Comte désapprouve ce livre, qu’il a déclaré ne pas vouloir le lire. N’a-t-il pas dit : « Si M. de Blignières est dévoré du pédantesque désir d’écrire, qu’il écrive sur des sujets spéciaux, tels que le mariage des prêtres, la prière, les sacremens ! » A peine cette lettre est-elle partie, que Célestin de Blignières apprend par un de ses confrères que Comte a changé d’avis, qu’il consent à lire l’ouvrage, et même qu’il le désire. Il lui envoie aussitôt un exemplaire avec une dédicace et un mot très respectueux. Mais déjà Comte a répondu à sa première lettre :


Quoique je n’aie jamais tenu le propos que vous citez, j’ai toujours proclamé l’inutilité des expositions générales projetées par mes disciples quelconques, envers une doctrine dont le sommaire est suffisamment établi, sauf les explications orales qu’exige tout traité didactique, dans mon Catéchisme positiviste, succédant, à mon Discours sur l’ensemble du positivisme, et suivi de mon Appel aux conservateurs, ce qui constitue une trilogie capable de systématiser la propagande actuelle…

  1. Cours de politique positive, préface du tome III.