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revenir maintenant à son enfance, mais riche de toutes les acquisitions de son adolescence et de sa virilité ; ou, pour parler sans images, à la foi révélée ou spontanée des temps primitifs devait se substituer une « foi démontrée, » c’est-à-dire un ensemble de vérités contrôlées par les gens compétens et universellement adoptées.

Mais quels seront ces gens compétens ? Qui déterminera leur compétence ? Et cette compétence une fois reconnue, comment les vérités sanctionnées par eux entreront-elles dans l’esprit des non compétens, de manière à devenir pour ceux-ci une règle de conduite ? Comte passe sur ces difficultés ; il les voit bien, mais il pense qu’elles s’aplaniront d’elles-mêmes. Il se plaît à supposer que la masse des ignorans s’inclinera devant l’autorité de ses chefs spirituels. C’est la part d’illusion et de parti pris, propre à tous les systèmes.

La religion future dressera ses autels à l’Humanité ; elle portera son adoration aux pieds du Grand-Être. Mais il va sans dire que l’Humanité, dans le système de Comte, n’est pas, selon le sens ordinaire du mot, l’ensemble des êtres humains qui ont peuplé la surface de la terre, ni même, d’une manière générale, la suite des nations qui se sont transmis de main en main l’œuvre de la civilisation occidentale : l’Orient est complètement en dehors de son horizon historique. L’Humanité se compose seulement des hommes qui ont réalisé dans leur personne le plus haut idéal de l’espèce humaine, qui ont fait prédominer en eux l’élan sympathique sur le penchant égoïste, qui ont subordonné tous leurs actes au principe suprême de la morale sociale : vivre pour autrui. L’Humanité est ainsi la réalisation progressive, à travers les siècles, de toutes les virtualités d’intelligence et de bonté que contenait la nature humaine et qui relevaient au-dessus de l’animalité. Tout homme qui a contribué à l’avancement de la science, ou qui a préparé les voies à une meilleure organisation de la société, est reçu au sein du Grand-Être ; il fait partie intégrante de ce dieu collectif et impersonnel, et y trouve son immortalité. Et comme la conduite de chacun ne peut être jugée qu’après sa mort, « l’Humanité est faite de plus de morts que de vivans. » Quant à ceux qui n’ont vécu que par les fonctions animales, ils meurent, inutile fardeau de l’espèce, avec la poussière dont ils sont formés.

Les premiers sont les saints du nouveau culte. Ils président