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le pays à la corruption politique qui le rongeait depuis longtemps déjà, et qui, dans ces dernières années, avait pris un caractère particulièrement destructeur. En Portugal, la grande majorité du pays est indifférente à la politique : les politiciens, au contraire, en ont fait une carrière qu’ils se sont efforcés par tous les moyens de rendre lucrative. Le monde gouvernemental se partage en deux partis, dont l’un s’appelle régénérateur et l’autre progressiste. Si on nous demande quelle différence il y a entre eux, nous serons en peine de l’expliquer. Les profits du pouvoir n’étant pas assez nombreux pour que tout le monde puisse en jouir à la fois, — car alors il n’y en aurait pas assez pour chacun, — les partis se sont entendus pour se succéder au gouvernement au bout d’un certain temps et en quelque sorte à l’amiable, en vertu d’un système qu’ils ont eux-mêmes qualifié de rotatif. La rotation est devenue insensiblement la seule constitution politique du Portugal, ou, si l’on veut, la condition de son fonctionnement. Avons-nous besoin de dire quelles en ont été les conséquences ? Elles se sont manifestées surtout dans les finances de l’État ; le trésor public a fini par être un peu celui des partis. Quand un pays en est là, il est bientôt atteint moralement, après l’avoir été matériellement. Le Roi avait le devoir de s’en préoccuper. Il s’est proposé d’extirper des abus intolérables, et il a trouvé dans M. Franco un agent d’exécution résolu à ne reculer devant rien. Là est le côté honorable de leur politique. Malheureusement, — car il faut tout dire, — la corruption générale était si grande que le Roi lui-même est devenu suspect de n’y avoir pas échappé : on l’a accusé de s’être fait payer plusieurs fois ses dettes et d’avoir touché de l’argent en dehors de sa liste civile. Ce sont là des faiblesses sur lesquelles nous ne voulons pas insister : l’infortuné souverain les a cruellement expiées. S’il y a là une ombre au tableau, elle ne doit pas empêcher de reconnaître ce qu’avait de légitime et de sain l’entreprise à laquelle le roi dom Carlos et M. Franco ont voué et sacrifié leur vie.

Ils n’ont pas réussi ; aujourd’hui dom Carlos est mort et M. Franco est en fuite. On se tait autour du cadavre du Roi, mais la rage est déchaînée contre le ministre. Nous convenons volontiers que, dans une bataille dont l’ardeur allait sans cesse en croissant, il a employé des moyens que cette ardeur explique sans toujours les justifier. La constitution du pays a été suspendue, et des décrets successifs ont gravement porté atteinte à toutes les libertés, y compris celles des personnes. Les prisons se sont rapidement remplies. La presse a été muselée. La terreur a plané sur le monde politique. Les partis ont