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M. Franco n’avait que quelques parties d’un homme d’État, et de lui aussi on pourrait dire qu’il avait tout prévu, excepté ce qui est arrivé. Le Roi et son ministre jouaient un jeu si évidemment dangereux qu’on est surpris de leur négligence à s’entourer des précautions qui, en pareil cas, sont élémentaires et en quelque sorte classiques. Quand on s’engage dans un défilé aussi obscur, il faut avoir une bonne police ; le moindre Machiavel de village l’aurait dit au roi dom Carlos et à M. Franco. S’ils avaient eu une police mieux faite, peut-être auraient-ils réussi dans leurs projets. Les élections, qui avaient été fixées à une date prochaine, leur auraient donné la victoire, et déjà même, en prévision de ce dénouement que les mœurs électorales du Portugal rendaient certain, quelques-uns de leurs adversaires les plus déterminés en apparence commençaient à se rapprocher d’eux. Le succès est un grand séducteur ! C’est pour cela sans doute que les meurtriers ont perdu patience et armé leurs carabines. Le courage naturel du Roi a été la cause de sa perte. Il apportait au milieu du péril une sorte d’indifférence provocante. Dans une conversation récente qu’il a eue avec un journaliste français, il s’était déclaré solidaire de la politique de son ministre : M. Franco et lui ne faisaient qu’un, disait-il, et, s’ils étaient battus, ils s’en iraient ensemble. Mais il espérait bien n’être pas battu, ou plutôt il était sûr de l’emporter. Ces déclarations, destinées à la publicité et reproduites en effet par tous les journaux, avaient produit en Portugal une émotion très vive. Le Roi se découvrait ; il revendiquait les responsabilités et les appelait sur sa tête ; il s’enlevait d’avance tout moyen, si M. Franco échouait, de sacrifier un ministre malheureux ou maladroit, et d’inaugurer, avec un autre, une politique différente. La lutte engagée contre tous les partis à la fois, ou peu s’en faut, prenait donc un caractère personnel tout à fait propre à attiser les haines et à exaspérer les passions. Dès lors, la plus simple prudence conseillait au Roi de se montrer le moins possible, ou de ne le faire qu’entouré de gardes nombreux, fidèles, dévoués. Mais il dédaignait ces moyens vulgaires de préservation. Le 1er février, venant de la campagne, il traversait Lisbonne en voiture découverte ; sa femme et ses enfans étaient avec lui. Il ne se doutait pas du danger et M. Franco semble bien ne s’en être pas douté plus que lui. En vérité, les républicains portugais ont quelques raisons de dire qu’ils ne sont pas surpris de ce qui est arrivé.

Quel but poursuivaient le roi dom Carlos et M. Franco ? Ils ont voulu, — ils l’ont dit, et leur déclaration paraît sincère, — arracher