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paroles de l’ascète ont déchaîné dans l’âme de Marco : mais elle connaît un moyen de faire pencher la victoire de son côté. Affectant un éclat de rire, « elle renverse la tête en arrière, et ses bras, parmi la nuée des cheveux, font un geste rapide vers les épaules. Aussitôt sa tunique tombe… Et tout le torse est nu ; mais les bras restent enfermés dans leurs gaines versicolores, attachées, dans le haut, par de petites agrafes qui étincellent sur la peau des épaules et du dos. » Puis, sûre de son pouvoir reconquis, elle recommence à railler le vieillard ; et chacun de ses sarcasmes lui est une nouvelle occasion de se dénuder. « Tu prétends que l’esprit d’Elie est sur toi ? crie-t-elle à Traba. Essaie donc d’accomplir ta menace ! Tout à l’heure, ton pied calleux voulait passer sur ma gorge ? (Elle dégrafe sa ceinture brillante, et fait le geste de s’incliner pour l’étendre sur le sol.) Tiens, voici que j’étends à terre ma ceinture ! Pose du moins ton pied sur elle ! (Déliée, la première tunique verte se relâche, sur les flancs, découvrant la seconde, qui est d’une étrange couleur noire azurée, teinte du suc d’un mûrier tarentin.) Elle était plus belle, n’est-ce pas, quand elle était pleine de moi ? Allons, essaie d’y mettre le pied ! »

Désormais la séductrice « se tait, dans son mystère, ne craignant plus que le Navarque hésite entre elle et son accusateur. » Et vainement ce dernier, dans un long et superbe discours, s’efforce d’ouvrir les yeux de Marco sur les mauvais desseins de l’ennemie de sa race. « Il y a dans cette femme, lui dit-il, un élément éternel, hors de portée du destin et de la mort, et que jamais l’homme ne pourra dompter !… C’est elle qui, jadis, de sa main maudite, offrait à ses hôtes des tasses fumantes et, les ayant transmués, les enfermait dans des peaux de porc ! C’est elle qui fut Biblis, poursuivant son frère, et Myrrha…, et Pasiphaë…, et cette adultère de Grèce qui, pendant dix ans, ensanglanta les tours et les nefs ; et Dalila, qui, sur ses genoux, coupa les cheveux de son mari ; et Jézabel, qui traîna sa luxure dans le sang des prophètes !… Mais écoute encore ceci ! Aujourd’hui, un homme et son frère vont, tous les deux, à une même courtisane !… Sache-le ! Cette créature a souillé l’Évangile, dans le lieu saint, avec la complicité de ton frère Serge, l’évêque ! » Le Navarque ne doute point de la vérité de toutes ces paroles ; et comme Basiliola, aux derniers mots du vieillard, a voulu s’élancer sur celui-ci pour le tuer, il la retient, désarme son bras. Mais il ne s’appartient plus : le spectacle de cette chair nue lui a été tout pouvoir de pensée ou d’action. « Homme de Dieu, dit-il tristement à l’ascète, je t’ai bien entendu ! Maintenant, éloigne-toi, et retourne dans ton île ! Les corbeaux t’y apporteront