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petit bourgeois, fils et beau-fils de gens bien posés, il n’aurait pas mieux demandé que de s’organiser une existence régulière, en accord avec l’ordre établi. Mais survient celle qu’on n’avait pas priée et qui s’invite elle-même : la passion. C’est elle, l’implacable logicienne, qui va tirer des principes de Darras des conclusions en rapport avec la situation de Lucien. C’est elle qui, par-delà l’honorable façade des mots, ira tout de suite au sens vrai, et de la doctrine où se leurre un conservatisme naïf, dégagera soudain l’âme révolutionnaire.

Berthe Planat est, à sa manière, une croyante comme Mme Darras. Seulement, on lui a proposé un autre idéal. Elle s’y attache avec la même ferveur, avec cette puissance d’absolu et cet excluvisisme qui caractérisent l’âme féminine. Elle croit à la médecine, comme, autrement élevée, elle aurait cru à Dieu. Elle adhère au formulaire de la Faculté comme elle aurait fait aux enseignemens du catéchisme. C’est l’enfant de Marie de la Sociologie athée. Et sa foi est la foi sincère, celle qui agit. Elle brûle de se dévouer pour l’évangile des temps nouveaux. Le même instinct, qui fera de la femme éternellement une sacrifiée, — là sacrifiée volontaire, — la pousse au martyre. Elle est, au sens littéral, la martyre de l’union libre, celle qui « témoigne » en s’immolant. Le mysticisme qui l’illumine transfigure, à ses yeux qu’elle ne veut pas dessiller, l’aventure la plus banale et la plus plate. J’ai entendu un vieux moraliste critiquer assez vertement ce rôle. « Berthe Planat, grondait-il, mais nous la connaissons tous, et depuis toujours ! Ce n’est que la dernière venue dans l’innombrable théorie des filles-mères. Elle avait le goût du plaisir ; elle a suivi n’importe quel libertin, celui qui passait. Après quoi, instruite par l’expérience et devenue très forte, elle a songé au moyen de reprendre pied dans la société régulière. Le moyen est classique : il consiste à s’introduire dans une famille honnête. Hier elle aurait été institutrice ou lectrice, aujourd’hui elle est infirmière ; c’est la turlutaine du moment : le tablier d’hôpital est pour une jeune fille le colifichet à la mode. Elle séduit le fils de la maison qui est un grand nigaud. Laissez-nous donc tranquilles avec les balivernes d’union libre, de foyer modern-style ! Autant de mots nouveaux pour cacher les vilenies de toujours… » Oh ! que la boutade de ce vieux moraliste m’a ravi, et que j’aimerais à abonder dans le même sens ! Mais ce n’est pas de morale, c’est de critique théâtrale qu’il s’agit ici. Il faut prendre le type tel qu’il nous est présenté. Balivernes, si l’on veut : Berthe Planat en a été dupe. Elle y a cru, dur comme fer. C’est le trait de psychologie que tous ces personnages ont en commun. Ils se réfèrent à un idéal,