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Bourget a toujours aperçu la vie sous un aspect tragique. Ce qu’on lui reprochait, au temps de ses premiers romans, c’est que ses personnages, ingénieux à se torturer, faisaient beaucoup d’affaires pour des mésaventures si banales ! Ils avaient un art de dramatiser toutes choses, et leur cœur était le champ clos où se livraient d’interminables combats. Romancier psychologue, M. Paul Bourget a recueilli la leçon des classiques qui, pour nous présenter dans un vigoureux raccourci le tableau de la vie intérieure, choisissaient l’instant de la crise : chacun de ses livres est l’exposé d’un drame de conscience. Quant à ses derniers romans ils sont chargés de beaucoup plus de matière ; un plus grand nombre des élémens dont se compose la vie contemporaine y est utilisé ; l’individu n’y est plus isolé, mais considéré dans ses rapports avec l’ensemble : autour de lui se livre une autre lutte, aux longues péripéties et aux conséquences infinies, la lutte des grandes forces sociales, celles qui conservent et celles qui détruisent.

C’est un épisode de cette lutte qui nous est présenté ici ; en sorte qu’on pourrait dire que les protagonistes n’y apparaissent pas, qu’on les devine à l’arrière-plan, et qu’ils s’appellent Tradition et Révolution, Foi et Négation, Discipline et Anarchie. M. Paul Bourget a lui-même défini Un divorce une pièce à idées. Ai-je besoin de répéter, après y avoir si souvent insisté, que c’est la forme de théâtre non seulement la plus relevée, mais aussi la plus neuve. Il y a une quinzaine d’années, en tête d’un recueil d’études dramatiques, j’essayais de dessiner l’esquisse d’un théâtre en formation et en espérance, que j’appelais le « théâtre d’idées. » La formule fut accueillie aussi dédaigneusement qu’il convenait par les professionnels du théâtre ; mais les critiques voulurent bien se l’approprier ; et, ce qui achève de la légitimer, c’est qu’elle définissait déjà les caractères essentiels des meilleures entre nos pièces récentes.

Le premier trait où se reconnaît une pièce à idées, c’est qu’elle n’est pas une pièce à thèse. Le genre cher à Dumas fils a eu sa vogue et il a ses titres de gloire ; mais il est aujourd’hui passé de mode : il nous choque par ce qu’il a tout à la fois, de trop concerté, et de toujours décevant. La pièce à thèse a pour raison d’être de prouver quelque chose, et pour essence de ne rien prouver ; car allez donc admettre qu’un « cas, » dont toutes les données ont été combinées à souhait, puisse avoir quelque valeur de signification générale ! Elle fait porter tout l’effort de la démonstration dans un même sens : elle met d’un côté tous les argumens solides et tous les braves gens, de