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déjà à Ypres, ses efforts se heurtèrent à l’hostilité, plus ou moins ouverte, du clergé local. « Loin de nous aider dans notre misérable situation, écrit-il, ce clergé nous écartait le plus qu’il lui était possible. On eût dit qu’il y avait, sur ce point, une sorte d’antagonisme entre lui et nous. » Les gens du peuple, au ‘contraire, à Bruxelles comme dans tous les Pays-Bas, étaient la véritable providence des prêtres émigrés. Ils les logeaient, les nourrissaient gratuitement, leur prodiguaient les marques de la plus respectueuse pitié. « Un fait que je me rappelle encore avec émotion est le refus que me fit, un jour, un petit garçon couvert de haillons, à qui j’avais demandé un loger service, de recevoir la modeste gratification que je lui offrais, et dont il me remercia, mais que je ne pus parvenir à lui faire accepter. »

Ainsi l’abbé de Préneuf « vivota, » pendant le séjour de plusieurs mois qu’il fit à Bruxelles. Il occupait ses après-midi à « rétablir ses sermons et ses instructions, brûlés dans Paris. » Le matin, il disait sa messe à la chapelle de Salazar ; le soir, il s’entretenait avec des confrères français, ou bien fréquentait les quelques salons où se réunissaient les nobles émigrés. Nous regrettons de ne pouvoir pas reproduire en entier la peinture qu’il nous a laissée de ces salons, où éclataient, à chaque instant, d’invraisemblables « querelles d’étiquette, » et où sévissait, avec mille « scènes scandaleuses, » la « passion funeste du jeu. »

Cependant, tandis que ceux des émigrés qui avaient le bonheur de posséder un peu d’argent le perdaient ainsi de la façon la plus folle, beaucoup d’autres, pour se procurer le moyen de vivre, s’avisaient de pratiquer toute sorte de métiers imprévus. Un abbé faisait des crêpes, chez un traiteur ; un chanoine s’était placé comme cellerier chez un marchand de vins. Des gentilshommes exécutaient et vendaient de petits travaux de broderie, ou tournaient des ouvrages en buis. Un grand seigneur réussit à gagner des sommes considérables en confectionnant lui-même, pour le compte d’un boulanger dans la maison duquel le hasard l’avait fait demeurer, un certain gâteau a l’anis, d’après « une recette qu’il s’était autrefois amusé à mettre en pratique dans les cuisines de son château. »

Mais la plus intéressante et la plus aimable de toutes ces figures d’émigrés que nous présente l’abbé de Préneuf est celle d’un ancien officier qui, dépouillé par la Révolution de tous ses biens, parmi lesquels il ne regrettait rien autant que sa