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qui hantait tous les cerveaux, et qui faisait trembler, derrière leurs portes verrouillées et leurs rideaux tirés, les familles même les moins compromises, quand on entendait, dans la rue, les pas d’une bande de gens armés… J’ai vu des pères hésiter à écrire à leurs fils, de crainte de laisser échapper un mot qui put prêter à des soupçons ; j’ai vu des gens brûler hâtivement tous leurs papiers, et sacrifier ainsi des titres dont la perte fut pour eux un malheur irréparable ; j’en ai vu, au bruit d’une troupe montant leur escalier, avaler des lettres insignifiantes, mais que la peur leur faisait paraître compromettantes… Les enfans mêmes semblaient comprendre le régime de terreur qui pesait sur tout le monde, et évitaient souvent les cris et les amusemens de leur âge… Je dois ajouter que, au milieu de ces horreurs et de ces tueries sanglantes, la vie sociale suivait son cours : les théâtres, les lieux de réunion restaient ouverts, et les rues étaient animées. Des gens qui allaient à des soirées se rencontraient avec les massacreurs qui suivaient les charrettes où étaient entassés les corps des victimes. Certains affectaient, par peur ou par indifférence, une quiétude dont on aurait peine à se faire maintenant une idée. »

Le second passage nous décrit l’accueil fait par les émigrés de Maestricht à la nouvelle de l’exécution de Louis XVI : « Cette mort fut loin de produire les sentimens d’horreur et de colère qu’on pourrait supposer… J’assistai à des scènes véritablement scandaleuses. Tout en faisant la part des malheurs qui avaient aigri le caractère de nombreux réfugiés, je voyais, avec un douloureux étonnement, des gentilshommes, qui avaient tout sacrifié à l’honneur, oublier le respect et l’obéissance qu’ils devaient à leur Roi. Aucun des usages qui accompagnent, à l’ordinaire, un deuil royal ne fut observé ; et je me sentis, pour ma part, si indigné des propos qu’on avait l’air d’étaler complaisamment, alors que le bourreau avait encore les mains rouges de sang, que je pris le parti de rester éloigné de ces réunions. Les tendances funestes, les divisions, que présageaient de tels commentaires, me firent faire de bien tristes réflexions sur l’avenir qui nous attendait. »


Arrivé à Bruxelles le 16 juin 1793, l’abbé de Préneuf chercha d’abord à gagner quelque argent, soit en donnant des leçons, soit en se livrant aux devoirs de son ministère. Mais ici, comme