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mouvement. » Pendant les jours qui suivirent, les gens du peuple, ouvriers, petits bourgeois, notamment un « peintre doreur » et un « maître à danser, » témoignèrent au prêtre émigré la sollicitude la plus touchante ; mais les riches, les nobles du pays, et presque tout le clergé yprois ne manquèrent pas une occasion de lui faire sentir combien ils se seraient volontiers passés de sa venue chez eux. Et sans cesse, malgré une économie extrême, la petite provision d’écus diminuait. Puis c’était, à toute heure, la crainte de voir arriver les troupes françaises.

« Cette ville était trop près de la frontière ; et les habitans, surtout ceux de la haute classe, redoutaient de nous voir nous y arrêter, à cause des passions surexcitées qui, en cas de succès des républicains, les auraient exposés à des vengeances et au pillage. La ville, en outre, était encombrée. Beaucoup de mes confrères, arrivés absolument sans ressources, hésitaient à s’engager plus loin dans le pays ; un grand nombre croyaient à une réaction prochaine, et à leur rentrée en France. Les illusions, sur ce point, étaient si fortes que presque personne ne mettait en doute le renversement de l’odieux Comité qui ensanglantait notre pays, et la défaite de ses séides. Aussi vivait-on dans un espoir que l’avenir, hélas ! ne réalisa pas… et la prostration et l’accablement que nos malheurs amenèrent, bientôt après, n’en furent que plus pénibles. »

De Gand, où il s’était rendu le 27 octobre, avec le vain espoir de trouver à s’y employer, l’abbé de Préneuf avait écrit à l’un de ses anciens amis, l’abbé Dargent, grand vicaire de l’archevêque de Paris, qui se trouvait alors à Bruxelles ; et celui-ci, en réponse, lui avait promis d’obtenir son admission dans une abbaye voisine de Namur. Aussitôt, l’abbé s’était remis en route ; mais, en arrivant à Bruxelles, il apprit de l’abbé Dargent que, « Namur étant trop près de la frontière, » il ferait mieux de se fixer à Maestricht, où étaient réunis un grand nombre d’évêques et de prêtres émigrés. Si bien que, dès le lendemain de sa venue à Bruxelles, notre abbé partit pour Maestricht, ayant eu la chance de rencontrer un brave voiturier qui lui avait offert de le mener gratuitement jusqu’à Louvain.

« Je vois encore les routes à ce moment-là. Tous les émigrés fuyaient au plus vite. Ce n’étaient que voitures et chariots de toute espèce, échelonnés dans toutes les directions, où