Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/903

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en personne, assis près de nous, avec le fin sourire et le beau regard pénétrant que nous révèle un portrait, d’ailleurs excellent, également découvert par M. Vanel. Bien éloigné de toute prétention au style, ou à la profondeur des vues historiques, il se complaît à évoquer devant nous les années passées, nous racontant tour à tour les angoisses fréquentes et les trop rares divertissemens de son long exil, et toujours nous parlant des autres autant et plus que de soi-même. Avec la grâce attirante de sa bonhomie, son récit nous amuse comme ferait un roman d’aventures ; et nulle part, peut-être, ne nous apparaît plus nettement, dans sa réalité pittoresque, cette vie des prêtres français émigrés qui est l’un des côtés les moins connus, jusqu’ici, de notre histoire révolutionnaire. Mais, au reste, l’analyse et les quelques extraits suivans vaudront mieux que tous les commentaires pour donner une idée, tout ensemble, de l’intérêt documentaire et du vif agrément de ces Souvenirs.


II

Après s’être reposé six jours à Messines, l’ex-curé de Vaugirard s’est mis en route, le 25 septembre, pour Ypres, où se trouvaient un grand nombre d’ecclésiastiques français émigrés. « J’avais fait le trajet, dit-il, en compagnie d’un prêtre flamand, auquel j’avais été recommandé, mais qui ne me servit que bien peu. Il me quitta, en effet, à la descente de voiture, en ne me donnant que des indications vagues, dont je ne pus tirer aucun profit… A Ypres, d’abord, je ne sus comment me diriger. Nouveau venu, et point initié aux démarches nécessaires, j’errais par les rues, portant mon modeste bagage, et ne sachant où m’adresser pour trouver un logement. Je voyais pourtant beaucoup de mes confrères : mais, espérant toujours rencontrer une figure de connaissance, je ne me pressais pas de les aborder. » C’est à Ypres que le pauvre abbé éprouva, pour la première fois, un avant-goût des amertumes que lui réservaient ses neuf ans d’émigration. Dépourvu d’argent, il eut l’impression d’être volé par le traiteur chez qui il était entré ; et bien que, ce même jour, un confrère parisien heureusement rencontré lui eût rendu le précieux service de le recueillir dans sa chambre, il ne put s’empêcher de constater que cette chambre n’était qu’une « mansarde, et « tellement étroite qu’à peine pouvait-on y faire un