Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/880

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et qui prouve qu’ayant acheté de ses deniers des immeubles, il les a loués au supérieur général des frères. Le liquidateur cependant prétend appréhender les immeubles. Car ici, comme dans le cas de la dame B.., la congrégation occupait matériellement les lieux, lors de la promulgation de la loi ; donc, disent les liquidateurs, la congrégation détenait ces biens.

On voit jusqu’où se portait, tout de suite, la rigueur de l’exécution. La dame B…, l’abbé S…, — ce ne sont, bien en tendu, que des exemples qui se multiplient par centaines, — étaient propriétaires en vertu de titres réguliers : ils n’étaient point de ces personnes que la loi présume interposées ; leurs biens devaient donc rester hors de la liquidation. Cependant, le liquidateur prétend s’en emparer. Pourquoi ? parce que ces biens ont été matériellement occupés par la congrégation, et que, d’après le liquidateur, occupation matérielle signifie détention, et que les biens occupés sont des biens détenus.

Il est inutile de faire ressortir la dureté de cette interprétation et son étroitesse. Les titres de propriété, les contrats anciens, sont tenus pour inexistans, et la vieille maxime « Foi est due aux titres » n’a plus de sens. Le fait matériel est regardé en lui-même, et ne vaut que par lui-même, sans qu’on se donne la peine d’en rechercher la signification juridique. Le liquidateur n’ignore point assurément que, dans la vie courante et dans les rapports du droit commun, il ne suffit pas d’occuper une maison pour en être propriétaire, et qu’on n’a jamais dit du locataire qu’il « détenait » l’immeuble loué. Mais le droit commun est écarté : la loi de 1901 a tout changé. Du moins que dit-elle, cette loi ? Et puisqu’elle a parlé de biens détenus, que trouve-t-on dans les discussions de la Chambre et du Sénat qui fixe l’étendue de ce mot conformément aux prétentions des liquidateurs ? Est-ce le fait matériel de l’occupation que ministre, rapporteurs, députés et sénateurs ont eu en vue ? Quand ils ont décidé que la liquidation, avec toutes ses conséquences, porterait sur les biens détenus, ont-ils entendu qu’il suffirait que la congrégation fût installée dans une maison au jour de la promulgation de la loi ? Là-dessus les travaux préparatoires sont aussi nets que possible. Ce n’est pas l’occupation matérielle, c’est la propriété seule qui a toujours été en question, et quand on a parlé de biens détenus, ce fut toujours avec cette précision : « les biens que la congrégation détenait comme le ferait un