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Si l’épais bastion que la tour ronde flanque
N’a pas du joug haï sauvé la cité franque,
Rhodes, tu coûtas cher au vainqueur musulman,

Car, autour de tes murs, un vaste cimetière
S’incurve encore, comme un funèbre croissant
Où trente mille Turcs ont pourri dans la terre !


LE SPECTRE ROUGE


Tes os ne dorment pas au tombeau que Venise
Te dressa vainement, ô grand Patricien !
Il est vide. Tu ne gis pas en lieu chrétien,
O martyr qui connus le couteau qu’on aiguise !

L’épitaphe est pompeuse et noble. Qu’on la lise
Et l’on saura quel sort farouche fut le tien :
O deuil, Chypre tombée au pouvoir du païen,
Et ta mort héroïque à Famagouste prise !

Ici, dans son vieux port que son haut mur défend,
A la place où les Turcs t’ont écorché vivant,
Ecarlate et debout en ta chair torturée,

J’ai cru voir, Bragadin, rôder sur le rempart
Ton fantôme sans peau tendant sa main pourprée
Que léchait en pleurant le Lion de Saint-Marc.


URBIS GENIO


Urbis genio Johannes Darius.
(Inscription votive du Palais Dario.)

Venise ne t’a pas inscrit au Livre d’or
Parmi ses fils fameux dont la gloire y rayonne,
Dario, mais ton nom oriental résonne
Toujours, dans un écho de faste et de trésor,

Puisque, riche étranger venu de quelque port
De l’Archipel ou né sur la côte esclavonne,
Tu construisis, sans écusson qui le blasonne,
Ce palais, dont le Grand Canal est fier encor.