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petite propriété. Les grands domaines ne s’y rencontrent qu’à l’état d’exception très rare. Au temps des Turcs, il existait une classe de grands propriétaires fonciers : on les appelait les tchorbadjis ; ils possédaient les tchifliks ou grands domaines, sur lesquels beaucoup de paysans travaillaient comme colons ; ils étaient des intermédiaires entre le gouvernement ottoman et les paysans bulgares. L’état social de la Bulgarie était donc comparable à celui que nous voyons encore en Macédoine, avec cette différence que les grands propriétaires qui bénéficiaient du régime turc étaient chrétiens, tandis qu’en Macédoine ils sont en majorité Turcs. Nous avons expliqué, ici même, comment la question macédonienne est avant tout une question sociale[1] : c’est cette question sociale que nous voyons aujourd’hui résolue en Bulgarie et en Serbie. Les tchorbadjis bulgares ont disparu en tant que grands propriétaires, mais comme ils étaient restés chrétiens, ils se sont retrouvés patriotes et ils ne se distinguent plus du reste de la nation ; ceux qui étaient Turcs ou Bulgares musulmans ont, pour la plupart, quitté le pays. Les terres vacantes ont été achetées, à bon compte, par les paysans qui les cultivaient ; ils se sont endettés pour devenir propriétaires, mais ils s’acquittent, peu à peu, grâce à la Banque agricole bulgare. Ainsi a grandi cette classe nombreuse de paysans propriétaires qui forme presque toute la nation bulgare : les ouvriers d’usines ne sont que 6 000 sur 4 millions d’habitans. Les ruraux sont des travailleurs acharnés, tenaces, prolifiques ; c’est une forte race qui exporte jusqu’en Amérique ses aptitudes spéciales à la culture et au jardinage. A Budapest, tous les jardiniers sont des Bulgares ; autour de Constantinople, avant les bombes de 1903, ils étaient très nombreux ; ce sont eux qui faisaient pousser ces belles fraises, gloire des maraîchers du Bosphore. Presque tous ont été chassés au moment des troubles ; ils ont dû refluer en Macédoine ou dans la Principauté, et c’est en partie parmi ces déracinés que les bandes se sont recrutées.

Les paysans bulgares ont gardé du passé une défiance invincible contre tout grand propriétaire : ce sentiment est si vif, dans certaines régions, qu’un capitaliste qui tenterait de réunir les élémens d’un grand domaine risquerait d’être molesté dans ses biens et même dans sa personne. Les dispositions de notre

  1. Voyez la Revue du 15 mai 1907, page 387.