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La Bulgarie, qui n’était après le Congrès de Berlin qu’une principauté en lisières, soumise à la tutelle ottomane et européenne, à peine autorisée à entretenir « une milice, » est devenue, grâce au tact et à l’ascendant de son prince, une puissance européenne, pratiquement indépendante et libre, munie d’une forte armée, accréditée dans tous les pays par des agens dits « commerciaux, » mais en réalité diplomatiques, recevant chez elle des envoyés de tous les grands États. Il fallut presque dix ans au prince Ferdinand pour apaiser les ressentimens du Tsar ; ce ne fut qu’en 1896 que la réconciliation se fit à Paris, sous des auspices français, entre le prince et le baron de Mohrenheim. Alexandre III consentit à reconnaître Ferdinand Ier comme prince de Bulgarie et, après lui, tous les gouvernemens de l’Europe s’empressèrent de suivre son exemple. Le passage à la religion orthodoxe du prince héritier Boris, né catholique comme son père et sa mère Marie-Louise de Parme, fut la conséquence et peut-être la condition de ce rapprochement : la chancellerie russe s’alarmait de voir une dynastie catholique s’implanter en Bulgarie ; elle craignait que la politique austro-hongroise ne cherchât, un jour ou l’autre, dans la communauté de religion, un moyen de battre en brèche l’influence de l’Eglise orthodoxe russe dans les Balkans. Faire du Tsar l’empereur de tous les orthodoxes, c’est un rêve que beaucoup de Russes ont fait et font encore ; c’est la vraie forme du panslavisme. En Orient d’ailleurs, et surtout dans la péninsule des Balkans où la religion est le cadre et la sauvegarde des nationalités, il est presque impossible à un prince de ne pas partager la religion de ses sujets. Les Bulgares, peu préoccupés de controverses religieuses, mais très intransigeans dans leur nationalisme, virent dans un tel acte un nouveau gage de l’union définitive de la dynastie et de la nation ; de ce jour grandit la popularité du jeune prince. Son père, respecté pour tout le bien qu’il fait, reste, malgré ses services, le souverain venu de l’étranger ; Boris, né dans le pays, sera le premier roi national.

La Bulgarie, pour assurer son indépendance et préparer ses progrès, a besoin d’entretenir de bonnes relations avec toutes les grandes puissances ; mais, selon les occurrences, ou selon les besoins immédiats de sa politique, elle s’est rapprochée davantage de tel groupement européen, ou de tel autre, sans jamais s’inféoder à aucun. Indépendance vis-à-vis de tous, mais bons