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un lien particulier de sympathie entre notre pays et la patrie Bulgare.

Le 14 août 1887, Ferdinand Ier prit en mains le pouvoir sous les auspices de Stambouloff qu’il garda comme premier ministre. Entre le nouveau souverain et son peuple, nulle affinité naturelle, partout le contraste : le prince très cultivé, très civilisé, observateur sagace et calculateur avisé, froidement brave, — de cette bravoure des rois d’aujourd’hui pour qui la vie est un champ de bataille où les menace, à chaque minute, la bombe, la carabine ou le revolver, plus difficile à coup sûr que le courage du combat, — mais peu guerrier, étant de ceux qui ne livrent au destin que ce qu’ils ne peuvent lui enlever et qui préfèrent le jeu patient et tenace, sur l’échiquier politique, au hasard qui fait dépendre du sort d’une bataille l’avenir d’une nation et d’une dynastie. Le peuple, au [contraire, batailleur, enthousiaste, peu soucieux des formes ou des subtilités de la diplomatie, et plus confiant dans la vigueur de ses bras que dans les combinaisons de ses hommes d’Etat. Ainsi les qualités de la nation et celles de son prince se trouvaient être complémentaires les unes des autres : et c’est peut-être là le secret de leur entente. Le prince s’imposait d’abord au respect général par l’autorité naturelle qu’il devait à sa race et qui émanait de toute sa personne, par son aisance « de roi partout chez soi, » par l’habitude héréditaire de commander aux autres et à soi-même, de contenir derrière un masque de froideur les élans d’une âme passionnée, impressionnable, sensible jusqu’à l’excès aux plus légères piqûres, enfin par le port naturellement imposant d’une tête dont la majesté est dans le front, haut et large, et la volonté dans l’éclair pénétrant de deux yeux d’acier. Les services qu’il rendit à la patrie bulgare achevèrent de serrer les liens qui l’unissent aujourd’hui à son peuple.

Le prince Ferdinand eut dès l’abord le mérite de comprendre que l’avenir de la Bulgarie n’était, à le bien prendre, que l’un des aspects de la question d’Orient, et que la question d’Orient elle-même étant, avant tout, européenne, il fallait qu’il fût européen avant même d’être bulgare. Avec une patience inlassable, il parcourut l’Europe ; mettant au service de son pays ses alliances et ses relations de famille, il chercha à tirer la Bulgarie de son isolement, à la distraire des affaires purement balkaniques et des querelles intestines où elle aurait usé ses forces sans profit.