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vivait volontiers au palais familial des Cobourg, ou au château d’Ebenthal, au milieu d’une petite cour qui avait conservé du XVIIIe siècle le goût des belles-lettres et des choses de l’esprit. Quitter son existence paisible, la libre culture des sciences et des arts, le rang et les prérogatives princières sans les charges et les périls, et pour quel trône ! la perspective n’était ni séduisante, ni même rassurante. Mais gouverner des hommes, vivre l’histoire, la faire suivre, dans le cours des événemens, dans les destinées d’un peuple, l’effet direct d’une volonté intelligente, n’est-ce pas, pour certaines natures, la plus noble des ambitions et, quand une fois on l’a goûtée, la plus élevée des jouissances, la plus captivante des voluptés ? Celui qui s’est senti mordu au cœur par cette divine passion n’hésite pas devant la couronne offerte : il l’empoigne et il la garde. Pour un prince dont les aïeux étaient des rois, régner, c’est le devoir, la fonction et, pour ainsi dire, le champ de bataille. « On s’engage, disait Napoléon, et puis on voit. » Cette maxime de l’art de vaincre s’applique à l’art de régner. A mesurer les périls et les obstacles, à disputer sur la forme d’une constitution ou la couleur d’un drapeau, on finit par mourir à Frohsdorf. Quand on a l’âme d’un roi, on règne d’abord : on résout les difficultés ensuite. Ferdinand était né avec les qualités qui font les conducteurs d’hommes et si, peut-être, comme on l’affirme, il eut des hésitations, sa mère, la princesse Clémentine, une vraie fille de France par l’énergie de son âme et l’élévation de son esprit, lui donna sans doute des conseils dignes de ceux que son aïeule Jeanne d’Albret fit entendre à Henri de Navarre. Clémentine de Bourbon-Orléans, avec le cœur d’une femme et d’une mère, avait le cerveau d’un politique : elle avait vu la débâcle du 24 février 1848, dont elle avait, comme ses frères, prévu la fatale échéance : ce fut la consolation et la joie de sa vie que cette fondation, par le plus jeune de ses fils, d’une dynastie nouvelle, partiellement issue du vieux sang de France, sur cette jeune terre où la sève est ardente et où l’avenir s’ouvre à de vastes espoirs. Jusqu’à un âge très avancé — elle mourut, on s’en souvient, il y a un an, — la fille du « roi citoyen » vécut à la cour de Sofia, parmi ces Bulgares dont sans doute Louis-Philippe savait à peine le nom, auprès d’un fils dont sa tendresse et ses conseils furent, jusqu’à la fin, le réconfort et la lumière. Il y a là, n’est-il pas vrai, pour nous Français, une page d’histoire qui mérite que nous ne l’oubliions pas ; elle crée