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de ses sujets. Il avait à gagner, à la fois, la confiance des gouvernemens étrangers, pour pouvoir être vis-à-vis d’eux le répondant de son peuple, et la confiance de son peuple pour être à même de le défendre aussi bien contre l’animosité flagrante des uns que contre l’amitié indiscrète des autres. Le prince capable d’observer toutes ces nuances, de devenir l’homme de la fonction, paraissait d’autant plus difficile à découvrir que les Bulgares étaient plus ombrageux et les étrangers plus jaloux.

Malgré de brillantes qualités d’homme et de soldat, Alexandre de Battenberg ne put tenir le rôle. Trop russe, par sa parenté, ses origines et ses tendances, pour n’être pas suspect au nationalisme bulgare, il apparut, au contraire, trop bulgare et trop indépendant aux Russes qui se refusaient à voir, dans le souverain de la Principauté, autre chose que le « lieutenant » du Tsar. Le cabinet de Saint-Pétersbourg ne lui pardonna pas ses velléités d’indépendance ; la formation du ministère nationaliste et libéral de Karaveloff, les victoires de 1885 et la réunion de la Roumélie orientale à la Bulgarie mirent le comble aux ressentimens d’Alexandre III. Pour refaire partiellement l’œuvre de San Stefano, le prince avait compté sur les dispositions favorables de l’Angleterre et sur l’inertie calculée de la Turquie[1] : on lui fit, à Pétersbourg, un grief de son succès même ; après des tribulations dont le récit n’est plus à refaire, Alexandre de Battenberg fut réduit à céder : sur un télégramme impérieux du Tsar, il résigna sa principauté.

La succession, en vérité, était peu enviable. Le trône princier était à la merci des pronunciamientos militaires, encouragés par les Russes, ou des entreprises des partis en armes ; on avait vu, en 1887, un complot d’officiers arrêter le prince Alexandre dans Sofia et l’obliger à s’exiler, et c’était Stambouloff qui, à la tête de bandes de paysans, était rentré dans la capitale et y avait rétabli le prince dans son ombre de pouvoir. L’infortuné souverain définitivement disparu de la scène, retiré à Darmstadt auprès de sa mère, Stambouloff restait seul maître : véritable dictateur, sous le titre de régent, il organisait, pour sauver les apparences, une sorte de consulat à trois où il prenait pour collègues son beau-frère Moutkouroff, qui lui assurait le concours des Rouméliotes, et son adversaire Karavéloff qu’il pensait

  1. Voyez sur ce point notre article du 15 septembre 1906 : L’évolution de la question d’Orient depuis le Congrès de Berlin.