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des temps héroïques de la guerre d’indépendance. Ces solennités patriotiques apparurent non seulement comme une glorification du passé, mais comme un symbole du présent et un présage de l’avenir. Ainsi la Bulgarie affirmait à elle-même et au monde qu’elle se sentait désormais trop forte, trop confiante en ses destinées, pour se croire le droit d’être ingrate.

En même temps que les éphémérides de la grande guerre, les Bulgares ont célébré le vingtième anniversaire de l’avènement de Ferdinand de Saxe-Cobourg-et-Gotha au trône princier. La Bulgarie fit, il y a vingt ans, avec son prince, le plus heureux des mariages de raison : elle trouva le guide prudent qui a fait d’elle un État moderne et qui lui a donné une place parmi les puissances européennes. Trente ans d’indépendance, vingt ans de gouvernement sage : brève mortalis ævi spatium ! Ce court espace de temps a suffi à de grandes choses ; il a fait des Bulgares une nation, il a complètement métamorphosé le pays. Je ne sais quel voyageur a fait cette observation, qu’en Bulgarie on ne voit pas de vieillards. Ministres, généraux, diplomates, sont des hommes jeunes : jeunes par l’âge, jeunes surtout par l’enthousiasme, par l’activité-physique et intellectuelle. Un général en retraite évoque, chez nous, l’idée d’une tête chenue : voyez, là-bas, des hommes comme Pétroff ou Zontcheff : ils sont encore dans la force de l’âge, et pourtant c’est aux temps déjà lointains de la guerre d’indépendance ou de la guerre de Serbie, qu’ils ont gagné leur haut grade. La Bulgarie a été faite par une seule génération, celle qui arrivait à l’âge viril vers 1878 et qui atteint aujourd’hui la cinquantaine ; tous les hommes de cet âge ont été acteurs dans les grands événemens qui, de 1875 à 1885, ont créé la patrie bulgare.

Mais voici qu’aujourd’hui, derrière la génération héroïque monte et grandit celle qui n’a pas connu le régime turc et pour qui les luttes d’autrefois ne sont déjà plus de la vie, mais de l’histoire. Les hommes nés au bruit du canon de la délivrance ont maintenant trente ans ; ils entrent dans la vie politique : c’est un élément nouveau, une inconnue. Ce qu’ils seront, nul ne saurait le prédire ; mais on peut prévoir qu’ils différeront de leurs aînés comme, en France, ceux qui ont vécu 1870 se distinguent de ceux qui en ont seulement entendu le récit. C’est pour ces Bulgares de demain que les fêtes récentes ont pu être d’utiles leçons de choses, de salutaires enseignemens.