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Au risque, écrit-il encore, de laisser en chemin une partie des sentimens dont Venise nous charge, essayons de les dénombrer. Révisons avec une volonté systématique ce que nous avons d’abord enregistré à notre insu. Le plaisir d’une longue réflexion méthodique n’est pas inférieur aux abandons de la rêverie.


Une préoccupation morale guide le plus souvent, toujours même, cette révision.


D’Athènes à Sparte, — se dit le voyageur au début de ces expériences, — mon objet, c’est de reconnaître quel bénéfice moral nous pouvons encore tirer de la Grèce.


Aussi bien, les voyages de M. Barrès sont-ils avant tout des pèlerinages. « C’est possible qu’en tous lieux la nature révèle un Dieu, mais je ne peux entendre son hymne que sur la tombe des grands hommes. » Pour s’arrêter aux plus beaux paysages, il « y veut des tombes parlantes. » Pèlerin dévot, et qui, jusque dans ses oraisons, se propose obstinément un but précis, une activité sanctifiante.


Quand nous trouvons un lieu tel que les grands hommes le connurent et que nous pouvons nous représenter les conditions de leur séjour, ces réalités qui pour un instant nous sont communes avec eux, nous forment une pente pour gagner leurs sommets, notre âme, sans se guinder, approche des hauts modèles qu’elle croyait inaccessibles, et par un contact familier de quelques heures, en tire un notable profit.


Le séjour des héros, le cadre de leur vie, les spectacles qui les ont nourris, la recherche exacte de toutes ces réalités exige une nouvelle application à laquelle la méthode de M. Barrès ne permet pas qu’on se dérobe. D’ailleurs, ce ne sont pas là de ces résolutions trop parfaites qu’emporte le premier tour de volant. Il serait aisé de montrer par de beaux exemples, en étudiant, entre autres passages analogues, le chapitre de l’Appel au soldat sur la Vallée de la Moselle, avec quelle rigueur M. Barrès obéit point par point à cette consigne. Il ne laisse rien à l’inspiration du moment que puisse lui donner la préparation attentive de son voyage, prêt du reste, le moment venu, à illuminer ces éruditions de toutes les fusées de la passion et du rêve. Après vingt ans de journalisme, il se refuse encore à écrire avant de savoir. Au service de l’Allemagne nous montre encore le poète de la Mort de Venise poussant d’étranges enquêtes dans les études des