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familiarité des églises italiennes. Il n’y avait pas plus de blasphème à s’amuser légèrement de Renan qu’à causer un peu fort sous le dôme de Saint-Pierre. D’ailleurs, le maître, vu de plus près, n’avait peut-être pas répondu de tous points à l’image que se faisait de lui son jeune disciple. Quoi d’étonnant si celui-ci, désappointé, se permit quelques violences lyriques à l’adresse du grand homme, semblable à ces paysans napolitains qui mettent leur saint en pénitence quand le miracle attendu tarde à venir ?

Les vrais hero-worshippers se reconnaissent à ce signe qu’ils n’attendent pas qu’un héros soit mort pour lui dresser des autels. Un Napoléon, — et même pour M. Barrès, un Renan, un Taine, — c’est le héros fantôme, l’ombre, le saint de légende, qu’on n’a jamais rencontré qu’à travers les livres ou dans le récit de ses aventures. Quand elle a fini de prier sur les tombes glorieuses, la jeunesse cherche d’instinct d’autres prophètes en qui s’incarne l’âme des grands disparus, des maîtres en chair et en os dont elle puisse entendre la voix, serrer la main, sonder le regard, moins parfaits que les morts, puisque l’oubli n’a pas effacé leurs misères, mais non moins aimés, adorés, servis, puisque d’une certaine façon, déifiés par nous, ils semblent nous appartenir davantage. Fi d’une avare prudence qui se prive du plaisir d’admirer les gloires toutes neuves que les siècles n’ont pas contrôlées ! Le risque est noble et beau de se donner à un de ces « princes des hommes, » penseurs, poètes, conducteurs de foules, dont la fortune oscille encore et qui peut-être doivent périr tout entiers. Ainsi pense l’auteur de l’Appel au soldat, qui modifierait volontiers le mot de Vauvenargues pour dire que rien n’est plus doux que les premiers feux de la gloire sur le front du héros choisi.

Je ne crois pas qu’on ait rendu justice à ce roman du boulangisme, l’Appel au soldat, à ce beau livre, moins riche peut-être que les Déracinés, moins inspiré que Leurs figures, mais d’un si bel accent et d’une allure si dramatique. C’est l’histoire du héros manqué, — encore un chapitre qu’il faut ajouter à Carlyle, — écrite avec la sérénité d’un critique, la tendresse fidèle, la piété d’un partisan et d’un ami. En méditant, en revivant cette aventure pour la transformer en œuvre d’art, M. Barrès fait un pas de plus vers la philosophie où toutes ses expériences le conduisent. Les limites par trop sensibles de son